Un couloir tangent à la vie avec Nathalie Léger
C’est un livre bref, mais Nathalie Léger a toujours écrit des livres brefs.
C’est un livre nécessaire, mais Nathalie Léger a toujours écrit des livres nécessaires.
« Suivant l’azur », c’est « ce cri de l’intime face à la généralité » dont parle Barthes, qu’elle cite.
A la mort de son compagnon, Jean-Loup Rivière - homme de théâtre, dramaturge, critique, enseignant -, dans la douleur de la perte et le chaos de la survie, c’est l’écriture qui arrive, le don des mots.
Écrire ne remplace rien, ni personne, écrire c’est simplement cette autre personne en nous écrivains (cette chance qu’on a, même dérisoire) qui prend le relais lorsque la souffrance coupe le souffle.
Écrivant, Nathalie Léger nous fait don en retour de ses mots, et ils nous atteignent en plein cœur. En plein corps aussi, de cette façon que l’écrivaine a toujours de faire vibrer et sonner la sensualité des êtres qu’elle met en scène dans ses livres, de L’Exposition à La Robe blanche en passant par Supplément à la vie de Barbara Loden, trois livres splendides, autour de figures féminines éprouvées et puissantes.
Lorsque j’ai découvert le jour de sa sortie « Suivant l’azur », j’ai dit au libraire, en toute légèreté heureuse, Ah un nouveau livre de Nathalie Léger, et l’ai pris sans rien en savoir, sans même l…˜ouvrir.
Parce que, quoi que cette écrivaine raconte, elle le fait dans un étonnement, une délicatesse, une audace, une intelligence qui me portent en avant, qui me donnent envie de continuer. J’ai été très secouée quand je l’ai ouvert et lu.
« Suivant l’azur » est évidemment singulier, il n’obéit pas au projet de l’écrire, mais à sa seule évidence, mettre des mots là où rien n’est possible, où rien ne sauve.
Écrire, c’est tout.
Le livre s’ouvre avec une magnifique partition autour du pronom « on », pronom qu’en général on déteste en littérature à cause de la généralité précisément de son expression, qui cache quelque chose, qui pourrait nous faire nous dérober.
Mais Nathalie Léger n’est pas une écrivaine qui se dérobe, et elle rend au On une noblesse insoupçonnable :
« On avance en tremblant. [...] Pour commencer, on a besoin que la langue soit un peu émoussée, affaiblie par l’écho assourdi de ce « on » qui la rend utilement obtuse, on a besoin de ce biais, « je » est parfois si affûté, si plein d’astuces, mais non, on se trompe, ce qui inquiète, c’est que « je » soit trop ému, cette émotion fait peur et puis « je » viendra tout seul, bien assez tôt, on laissera faire, mais pour commencer, on a besoin d’indifférenciation, on a surtout besoin de creuser dans l’écriture un couloir tangent à la vie, une vie qui ne tient désormais qu’à ce passage dans les mots pour se retrouver. »
« Suivant l’azur » — titre et derniers mots du livre qui ouvrent délibérément sur la vie, le vivre — est un livre d’amour. « Il n’y a qu’un lieu pour recueillir ce savoir [celui de l’amour], c’est l’écriture. »
On se souvient de l’attention portée par Jean-Loup Rivière au travail des corps sur la scène. Déchiffreur des signes que le jeu et, particulièrement, les corps des comédiens offrent à notre entendement, il disait notamment à propos d’une gifle donnée dans Le Cid de Corneille « C’est un geste intéressant, parce qu’il blesse, et dans le langage cela signifie un défi. Ce soufflet est donc une phrase. Ce geste est lié à un risque de mort, à une image de la mort. »
Dans le livre de Nathalie Léger, les phrases et les mots sont des gestes, non seulement parce qu’ils renvoient à des gestes réels qui nous font sursauter en faisant apparaître l’inédit quotidien de l’amour, « je lèche la monture de tes lunettes », mais les mots forment eux-mêmes des gestes d’appel, de célébration, de révolte, d’acceptation. Les mots risquent l’impossible et se blessent, mais n’est-ce pas le geste de la littérature que d’entailler la vérité, que de prendre le risque d’échouer, et de tenter quand même ? N’est-ce pas là que se rejoignent la vie et l’art ?
Les mots renvoient à d’autre mots d’autres écrivains. Tout est vrai, rien n’est la vérité absolue, la vérité de la mort, qui échappe. La littérature ne cherche pas à venir à bout de la mort, à attraper cette impossible vérité, on pleure et on se retourne toujours vers l’être aimé, et on se retourne vers la vie, là où la vie l’emporte tant qu’elle est là et qu’on la peut nommer.
Suivant l’azur de Nathalie Léger
Aux éditions P.O.L.