"Vies d’Aby Warburg" : sur Une cause dansée, Warburg à Oraibi, Pierre Parlant

fig.1
Aby Warburg avec un indien Hopi, 1896 (collection Warburg Institute)

fig. 2
Aby Warburg portant un masque de danseur Kachina

« Raconter change tout souvenir, réel ou supposé en une sorte
d’objet luminescent exposé à la lumière noire du discours »
Pierre Parlant [1]

fig.3
Piero della Francesca, ritratto di Sigismondo Malatesta entre 1450 et 1451. Musée du Louvre, Paris.

« Le sujet se refait dans/les rêves. Mémoires parallèles/
désaccordées, réactivations/furtives(comme en témoignent/
les déguisements “indiens” »
Emmanuel Hocquard [2]

« visage carré de condottiere (fig.3) ou de spadassin (…), avec un regard pensif, les lèvres minces de ces ducs ou de ces comtes portraiturés de profil et vêtus de rouge sur un fond de collines couleur de perle et piquetées de buissons »
Claude Simon [3]

« Comme nous l’avons vu sur le dessin de Jurino, le serpent
en forme d’éclair est lié à l’éclair par une causalité magique »
Aby Warburg [4]

« comme si c’était la langue qui parlait,/
jetait au dehors une voix et dit : »
Dante [5]

Avec Une cause dansée, Pierre Parlant achève ce qu’il a appelé une « autobiographie de l’autre » [6].
Ce triptyque ne fut pas prémédité, il s’est petit à petit imposé dans les temps de l’écriture elle-même, selon la façon, peut-on l’imaginer, dont chaque autre est venu s’immiscer. Les biais de flèches lancées dans le ciel sonore de Méditerranée que Les courtes habitudes [7] étoilent le sont par les marches successives de Nietzsche à Nice. Ceux de Ma durée Pontormo [8] se distendent, se densifient, en prenant au mot la relation entre la couleur et le temps tels que l’un et l’autre constituent les intensités presque sans cause de ses figures. Une cause dansée est, quant à elle, sous-titrée Warburg à Oraibi. Précisons : Warburg, Aby, l’un des grands penseurs de l’art du XXe siècle dont l’Atlas Mnémosyne (fig.4) [9] est l’ouvrage emblématique par lequel le « concept » de survivance se fait jour pour la première fois.

fig.4 (a) Planche 39 de l’Atlas

fig.4 (b) Planche 6 de l’Atlas

Oraibi, village Hopi du Comté de Navajo (Arizona). Aby Warburg le visite en 1896 au terme de son séjour, après avoir parcouru le pays des Pueblos de l’Arizona et du Nouveau-Mexique ; Hopi, tribu indienne à laquelle il consacre une conférence en 1923, d’abord titrée « Images du territoire des Indiens pueblos en Amérique du Nord », puis connue sous le nom de Le Rituel du serpent [10].

ʘ Cadrer.

Le nouveau livre de Pierre Parlant soustrait Aby Warburg [11] aux impératifs de sa biographie, puisqu’il transporte le théoricien allemand à l’époque contemporaine, au moment où le narrateur d’Une cause dansée effectue un voyage en pays Hopi. Aussi, d’emblée ce narrateur procède-t-il par entorses temporelles. Comment ? Et comment dire ce transport, et bien plus ce transfert d’aura, pour reprendre le concept de Walter Benjamin ? C’est l’une des questions que ce livre soulève et projette, tant par son écriture que par le choix audacieux d’une exofiction.

Le récit d’enquête documentaire qui sous-tend Une cause dansée, les notes du voyage prises par le narrateur sur les traces de Warburg en pays Hopi, plus d’un siècle après, valent autant par ce qui est reporté de la vie supposée, imaginée et poursuivie d’Aby, que par l’armature en quatre parties d’un livre qui enfourche les hypothèses et les dernières pistes d’écoute [12] (fig.5). Un narrateur à l’identité indéterminée prend en charge une série de récits qui géométrise le champ de vision du livre : « ce sera ça ou bien dormir du sommeil d’un autre », est-il écrit au-dessus d’une image-œilleton de « clown-danseur Katcina » figurant dans Une cause dansée (fig.6).

Or cet oculus, à la fois instrument d’optique et image représentée, à la fois œil et cible, justifie la récurrence d’un signe 

ʘ

qui, dans l’ouvrage, est la marque de résurgence et le motif d’impulsion de ses différents régimes d’énonciation. Une cause dansée prend en charge ce signe dans ses quatre sections et forme le voyage Aby Warburg-Oraibi, là où Warburg commence sa fameuse conférence Le rituel du serpent par cette formule énigmatique : « C’est un vieux livre à feuilleter, Athènes-Oraibi, tous cousins » [13]. La 1ère et la 3ème section, blocs de proses ponctués du signe ʘ comme partout ailleurs, sont les traces du voyage sur les terres Hopi et à Oraibi ; Warburg y est un compagnon de route impeccable. Il contredit Michaux lorsqu’il affirme être toujours malaisé de voyager avec un mort. La 2ème partie, sous la forme de poèmes de 3 strophes de 3 vers, décrit la préparation et le rituel du serpent. C’est la seule section où aucun document photographique n’apparait. L’ultime, elle, est titrée « Notes pour une conférence imprononcée  », et propose 304 propositions réflexives et contemplatives de la langue Hopi : vision du monde qui, en tous sens, « élargit la synthèse » [14]

fig.5

fig.6

Ce voyage se confronte autant aux origines enfouies qu’aux traces ramifiées d’autres espace-temps, que celui-ci soit directement lié à Warburg, à tout ce qui l’environne, jusqu’aux documents ultérieurs, dont le livre de l’anthropologue Benjamin Lee Whorf sur la langue Hopi. Une cause dansée en déplie les hypothèses linguistiques dans son chapitre final – « Notes pour une conférence imprononcée » – en les croisant à celles de la conférence sur le rituel du serpent que Warburg prononcera 27 ans après son voyage en Arizona. C’est en effet au sortir de la première Guerre mondiale, que ses crises de psychoses aiguës le conduisent de 1921 à 24 à suivre une cure à la clinique Bellevue à Kreuzlingen (Suisse) où exerce le psychiatre Ludwig Binswanger. Afin de donner des preuves de sa santé mentale, face à un Binswanger sceptique [15], Warburg s’engage à produire une conférence dont le sujet est le rituel du serpent en pays Hopi. Depuis ce temps de la clinique, à celui du voyage en Arizona, où Warburg apparaît de plus en plus comme un oiseau d’augure sur l’épaule du narrateur d’Une cause dansée, des hypothèses sont avancées quant à l’enjeu de la conférence que prononce Aby ; et ce jusqu’à aborder le fonctionnement de la langue Hopi et son rapport si singulier au temps dans les « Notes pour une conférence imprononcée ». Il s’agira ici, pour Une Cause dansée, de refaire le saut que Warburg fit du pays Hopi à l’Europe en en faisant le voyage inverse. Aussi le narrateur peut-il vite s’étonner : « la conférence a-t-elle commencé ? On serait en droit de l’estimer à voir l’étonnement sur la plupart des visages ; il faut dire que trois tables successives d’enrochements à peu près alignées viennent d’apparaître à l’écran trois buttes à sommets abrasés, d’altitude modeste, et d’aspect taciturne « trois crêtes rocheuses parallèles » précise Warburg en prononçant lentement le mot mesa, lequel veut dire table pour désigner en deux syllabes cette exception géologique hésitant dans sa manifestation entre le promontoire attendu d’une montagne et l’aplomb d’une masse recalée en curieux belvédère  » (p. 184). Et avec ce saut nous imaginons que la conférence de 1923 était peut-être comme en dormance déjà écrite dès 1896, lamellée dans les ramifications de son esprit d’alors, avant qu’il ne poursuive ses recherches en Allemagne.

Une cause dansée suit cette hypothèse et, à fleur de son phrasé si reconnaissable [16], l’échelonne selon trois motifs : celui du saut, qu’il soit temporel ou spatial, celui de l’interdit, qui nomme l’impossibilité d’énoncer quelque chose, et, enfin, celui du passage des images aux mots. Ces trois motifs, par homothétie, deviennent les principes du phrasé d’Une cause dansée. Saut, interdit et passage tressent les trois brins d’un traduire que le livre déploie, jusqu’au plus littéral d’entre eux, la composition d’un poème de 24 vers combinés de quatre mots « volés au lexique Hopi  » [17].

ʘ Atte(i)ndre.

Ce saut dans l’espace et le temps désarticule le déroulé-serpent de la route de chronos. L’expérience et la pensée de la survivance qui s’y déploient ne peuvent s’élaborer chez Warburg sans lui, et sans une cause antérieure dansée qu’elles actualisent. C’est toute l’entreprise du livre de Pierre Parlant d’en tracer le dessin, mais invisibilisé, comme s’il suivait lui-même le fil non-apparent, rompu par endroit, effiloché à d’autres, des premiers pas de Warburg en pays Hopi à la fameuse conférence du 23 avril 1923 : ce saut (littéralement et dans tous les sens) constitue donc le geste que le narrateur rejoue à travers l’entreprise de Warburg, laquelle aura cherchée puis analysée, de l’antiquité grecque aux rites païens romains, de la Renaissance (italienne, flamande) jusqu’aux rituels des indiens Hopis (fig.7 [a, b, c, d, e]), les indices de différenciation au sein de figures invariantes, mais aussi les survivances communes que chacune crée entre elles.

fig. 7 (a)

 [18]

(a bis)

(b)

(c)

(d)

(e)

Ce travail pugnace vérifie, à force de détails comparés, comment une pensée non-linéaire du temps peut fonder une nouvelle anthropologie des pratiques artistiques. Le tracé que dessine alors le narrateur d’Une cause dansée vers celui d’Aby est égal au trajet invisible de son saut dansé entre Oraibi et Athènes. Il est une ligne de nuit qui précède la trace lumineuse de l’éclair zébrant le ciel et appelle, dans son voisinage, le rituel de la danse des serpents, sa raison dansée.

Depuis le motif tracé en ʘ autant qu’à partir de tout ce qui s’ouvre grâce à lui, le programme du voyage s’annonce, comme dans ces deux pages successives d’Une cause dansée où des préparatifs sont consignés : « se rêvant au service d’un sismographe intime, l’œil mien, œil du présent, n’accroche rien ni n’enregistre ; organe encore, il ne procède pas » (p. 18) ; parce que, est-il écrit (p.19)
« ʘ si l’endroit interdit pour l’instant l’ouverture d’une chambre, ce n’est pas une question de morale mais d’espace et de concordance des temps ».

Pierre Parlant inscrit entre ces deux pages un premier saut, de ce qui ne « procède pas » à « une concordance des temps » énigmatique : exactement entre le sismographe de l’œil et cette chambre sanctuaire interdite à ceux qui n’y sont pas initiés, la kiwa (fig. 8), où les serpents seront placés avant le rituel. Entre attendre et atteindre, l’élan du saut, sa suspension entre œil et chambre, est rendu possible par transfert d’images et rémanence de mots venus sur le bout de la langue. On peut se figurer ce saut à partir de plusieurs indices mémoriels que Warburg relate dans ses ricordi, comme il les nommait ; et que Pierre Parlant, du moins son narrateur, avance lui aussi comme ses hypothèses : rappelons-en quelques-unes avant de poursuivre ce livre de murmures et de survivances.

fig.8 [19]

Mais avant tout rappelons que le « saut » que Warburg opère par sa conférence performée, le danseur Nijinsky le rêve à la clinique de Bellevue [20] en l’effectuant devant Jean Manzon qui l’immortalise le 3 juillet 1939 comme son dernier (fig.9). Cet événement, soudain, sans rapport apparent avec Warburg, penseur-danseur s’il en est, anticipe aussi une forme de survivance.

fig.9

Aby Warburg, dans les notes préparatoires à sa conférence, rappelle en effet que ce qui lui fait voir le but de son voyage en pays Hopi est l’association d’une image et d’un texte [21]. Le lien qu’il fait bien plus tard à Washington entre cette première expérience (fig.10) et certaines fresques de Santa Trinita (fig.11), dont celles de Ghirlandaio, décide de « la capacité des images à reconduire le chercheur vers l’extériorité  » [22].

Or ce qu’il faut entendre par cette reconduction extraordinaire où l’expérience visuelle de la peinture et son étude est concurrencée par la recherche de documents dans les archives civiles (Florence, pour ne nommer qu’elle), c’est que le « montage presque fortuit d’un texte et d’une image  » ramène à « transformer l’expérience en document et, inversement, faire du document un lieu d’expérience -ou d’aventure- en empruntant, pour retourner vers le monde, les voies qui partent de l’espace confiné au savoir  » [23]. Dans ce moment, où le « chercheur  » est reconduit « vers l’extériorité », s’écrit un raccord apparemment incongru, mais avec lui un saut de temps est franchi qui le conjoint à d’autres concordances temporelles.

fig. 10

fig. 11

Le parallèle que fera Warburg en 1923, vingt-sept ans après son séjour chez les Hopis, entre la conception d’échelles simples, taillées dans un arbre [24] (fig.13 a&b) – servant tantôt à lier les différents paliers des maisons, tantôt, pour les maison-cosmos, à permettre l’accès aux mouvements ascendants du ciel –, le recours à certains récits miraculeux d’élévation [25], et ce qu’il explore des premières Renaissances européennes dans les années 1880, notamment le motif de « l’escalier sortant de terre qui s’ouvre au premier plan  » de La Confirmation de la règle de l’ordre de saint François [26] (fig.12 a) de Domenico Ghirlandaio et sa comparaison avec la fresque de Giotto (fig.12 b), est l’un de ces raccords.

fig.12 (a)

fig.12 (b)

fig.13 (a)
échelles d’habitation Hopi intérieur de la kiwa Walpi d’un village Hopi

fig.13 (b)

C’est par cette concordance inédite d’espace et de temps, bien plus que par des similitudes entre formes séparées par des siècles, que s’élabore l’hypothèse de «  la ressaisie de cette expérience : à cette date, le nouveau Mexique n’est pas seulement aux yeux de Warburg un analogon de la Florence renaissante où se reproduisent in vivo des processus de figurabilité : il est devenu la métaphore géographique de sa propre pensée  » [27]. Lors de ses deux années de voyage en Arizona et au Nouveau Mexique en 1895 et 1896, les sites indiens parcourus par Warburg agissent donc comme de véritables anamnèses dans le sens où s’opère en lui la rémanence de l’époque florentine. Pour autant ce n’est que 27 ans plus tard et en un autre lieu, soit « un écart temporel de 9 855 jours  », « et un éloignement spatial de 9 150 km (soit 5 682 miles)  » précise Pierre Parlant, que ces mêmes anamnèses le conduisent vers un autre passé, celui, entre autre, du peintre renaissant de Ghirlandaio : notamment la fresque de La vie de saint Jean-Baptiste. La naissance de Jean (fig.14 a, détail ; & b) [28], où, entrant par la droite, apparaît une nymphe, panier de fruit sur la tête, toute dans sa robe de tulle bleue pâle et de voiles clairs environnée. Véritable signe virtuel d’une soudaineté, flash dont la puissance réactive simultanément les motifs Hopis.

fig.14 (a)

fig. 14 (b)

Mais ce sont aussi les détails glanés de mille peintures et sculptures de différentes époques, vues et analysées, jusqu’au parallèle qu’il fit entre une photographie prise de stalactites dans un rocher au Nouveau Mexique et la façade de la grotte du jardin Boboli (fig.15), que dessina Bernardo Buontalenti, qui dialectisent ce que le temps serre comme un poing de l’expérience de l’attente et de la saisie (atteindre).

fig.15

fig. 16

« signe de l’hésitation « Attends, lentement » [29]

Attendre (fig. 16) que la pluie vienne, comme Aby attend que sa pensée accueille ce que le temps verticalise dans son éclair non-apparent. Atteindre donc le centre par où s’ouvre d’autres temps, comme s’il s’agissait là de vérifier qu’une « dépense giratoire imaginaire » [30] agit l’esprit. Les coïncidences temporelles sont la pierre fondatrice de sa nouvelle iconologie, que l’image du siphon figure, tout autant que les mots de résurgence ou de rémanence trouent le langage. Et l’on ne peut pas ne pas penser ici à l’architecture que la pièce sanctuaire des Hopis, la kiwa, la plupart du temps circulaire, représente : percée en son centre par un trou (sipaapu) lui-même obstrué d’une pièce de bois, la kiwa permet de changer de temps. Lorsque son orifice central en est ouvert, les rituels du serpent peuvent commencer. Ces échelonnages d’images, de schèmes isolés puis assemblés en rhizomes, voyagent à travers les temps dans l’esprit chorégraphique de Warburg. Ils sont sa cause et ce par quoi « prend corps alors la part insigne d’un savoir qu’aucun livre, sa vie durant [de Warburg], ne saura ressaisir comme là-bas ; à savoir cet arc que forment l’œil et la main quand se déphase la prosodie épistémique » [31], précise très justement Pierre Parlant. Les raccords que Warburg établit définissent son attention scrupuleuse, qui consiste in fine à « pointer la fracture, l’élément symptomatique, voire incongru, disruptif, qui transforme l’image organisée en champ de tension. Petit ou grand, le détail, est l’un des moyens de cette mise en crise » [32]. Mais cette tension épistémique, que la recherche d’Aby créé, est un endroit du savoir où la kiwa est interdite à la « pédanterie scientifique » [33] dans son évitement éthique. C’est ce à quoi Une cause dansée répond à plusieurs endroits, en ceci que « personne/ne connaît le contenu de la phrase/qui organise la cérémonie », et en cela que « laver les serpents est un acte/dont la lenteur annule la fulgurance/on ne peut pas photographier ça  » [34].

Mais si le démonstratif « ça » nomme cette chose-là à laquelle le rituel renvoie, dans le même temps le pronom insiste sur l’approximation, la contingence et le probable. C’est probablement la raison pour laquelle Warburg sentit la disparition imminente de cet infigurable tant l’Amérique d’alors commençait d’être pétrie (fig.17) [35] d’un positivisme qui allait coloniser sa pensée, sa géographie et son imaginaire.

fig.17

On ne peut en effet entendre le démonstratif, ce « ça » impossible à photographier, qui est un moment du rituel [36], qu’à chercher, dans le temps qui sépare le voyage de la conférence de Warburg, une autre entrée que celle chronologique. Il faut ainsi refaire le trajet n fois, en l’élevant à une dimension hors de portée de celle orthonormée, pour imaginer, éclair de soudaineté extraordinaire, l’événement qui le fend en deux. Telle est la cause dansée qui agit le livre de Pierre Parlant. Pour la raison que de la méthode Warburg [37] à celle à laquelle il se conjoint [38], les distances ne comptent plus. La détermination de conditions, permettant de passer d’un temps à un autre à travers la flèche zigzagante de l’éclair, est gagnée au prix d’une articulation chorégraphique de la pensée, laquelle intègre toutes les expériences que l’on pourrait dire pré-discursives. Par expérience pré-discursive, il ne faut pas entendre ce qui est en dehors du langage, mais ce qui, dans le langage, peut être agi par une logique autre que celle de la non-contradiction ou du syllogisme. Aussi sa syntaxe devient-elle « une syntaxe spécifiquement cinématographique  » [39], par quoi l’intervalle et la coupe, le montage et la combinaison, la bifurcation et la segmentation, forment sa logique de sens.

Suspendue entre son pas encore et son déjà (non dum et jam), cette chose-là, qu’aucune photographie ni mot ne retient en tant que tel, seul le passage rêvé d’une image à un mot, ou le tressage énigmatique de l’une à l’autre, en dira les résonnances. Le projet Mnémosyne, les planches noires sur lesquelles se découpent ce que Warburg qualifia d’« iconolonogie des intervalles », résonne donc lui aussi de ce transfert entre les mots d’un livre et les images d’un autre. Cette opération, par laquelle différentes strates de temps sont rapprochées, crée de micro-collisions : non pas de simples comparaisons, mais « de l’écart, de la détonation, de la déflagration  » [40]. Warburg la conçoit depuis un rapport à « des ordres de réalité hétérogènes  » [41], pour ne pas seulement reconnaître en eux des invariants mais, au sein de motifs communs, de la différence et de l’altérité. Au moment-même où, toutes notes de sa conférence griffonnées de marginalia et d’ajouts divers devant lui, il en prononce les premiers mots face à 48 diapositives (fig.18) ponctuant son allocution. Ce moment de suspens délicat, où tout se joue, Une cause dansée le campe avec beaucoup de tact : « aucune pensée ne trouble les tilleuls du jardin, aucun chant ne s’élève lorsque le choix se porte enfin sur une série de 48 diapositives aussitôt ordonnées avec soin sur la desserte sans napperon ; en droit, chaque geste appartient à l’opus, pas une image n’est orpheline, se persuade Warburg en tirant le rideau, aucune ne l’a jamais été, pense-t-il encore (échos, jeux de renvois, marqueterie des âges) ; quel que soit l’assemblage, d’elles aux mots, il le pressent, comme des mots aux images, la conséquence s’impose  » [42]. Autrement dit l’analogie comme figure de pensée et principe heuristique.

fig.18 [43].

Aussi, lorsque Warburg performa sa conférence en 1923, toutes ces questions, attachées au rituel lui-même, qu’une part de la danse du serpent masque et dévoile dans sa visibilité heurtée [44], forment l’immense toile arachnéenne dans laquelle il dessine les coordonnées d’une nouvelle approche des pratiques artistiques, et de la façon d’en appréhender le dessein. A ceci-près, rappelle le véritable tractatus logico poeticus des « notes pour une conférence imprononcée » [45] d’Une cause dansée, que la méthode d’une autobiographie de l’autre chevauche ici la méthode descriptive que Warburg élabore. Or ce chevauchement projette une véritable théorie des intervalles, instaurant, entre eux deux, « leurs rencontres » [46] :

« 77 Le principe de l’appropriation se soutient implicitement d’une quadruple conviction : a) aucune vie n’appartient à personne ; b) toutes les vies ne cessent de conspirer et de se contaminer mutuellement pour inventer leurs propres formes ; c) vie singulière est celle qui, pour s’affecter, s’emploie à se raconter elle-même par le truchement de la vie des autres ; d) sans effort au récit, toute vie est perdue.
78 La vie des autres, comme de soi, est la vie de tout le monde » [47].

fig.19

Warburg, lui aussi, a vécu cette expérience du temps avant de l’écrire, et sans doute désigne-t-elle un sentiment de l’existence qui n’a pas encore acquis une détermination précise mais qui, pourtant, conduit à élargir son écoute : comme s’il avait tendu le pavillon de son oreille vers le conduit spiralé d’un temps par lequel percevoir de nouveaux diagrammes, une constellation de points d’une civilisation à une autre.

L’exergue de sa conférence : « C’est un vieux livre à feuilleter, Athènes-Oraibi, tous cousins  » [48] ne manque d’ailleurs pas de l’indiquer. Et sous son aspect quelque peu sibyllin, elle signale combien, de l’Antiquité à Oraibi, et inversement, la raison, plus que la magie, structure l’art (fig.20) [49]. Et dessine, entre cible et œil, un mouvement circulaire, peut-être celui de la destinée des images et, peut-être encore, cette dynamis qui, dans la pensée de l’éternel retour, décide de leur survivance. Telle est, dans tous les cas, de chaque voyage à son retour, l’éthique à distance que dessine la rencontre Warburg-Oraibi-Parlant, et tel est l’acte de voir, de penser et d’agir qui la redéfinie ici comme puissance de vie [50].

fig.20 (a)(b)(c)

ʘ Traduire.

L’ultime avancée d’Une cause dansée prend donc la forme de notes numérotées. Il s’agit d’une sorte d’index sans nom, sans entrée proprement dite. Ce déroulé prend l’allure d’un tractatus dont il faut petit à petit refaire le trajet pour en saisir enfin la logique : logique qui emprunte au mille-feuilles, que les ramifications d’une langue reptilienne dessine. Les 304 propositions de ces « Notes pour une conférence imprononcée » continuent la lecture de Warburg à partir de ce que ce dernier n’aura pas vu du rituel du serpent, à quoi s’agrège les images du théoricien allemand, et bien sûr tous les éléments relatés par le narrateur-chercheur-poète qui, sans ce voyage en terre Hopi réitéré, n’aurait probablement pas été reconduit vers sa propre extériorité, c’est-à-dire sorti de la gangue de son savoir.

Ce voyage l’amène ainsi à vérifier comment l’expérience prend en charge autrement le document, et, « inversement [comment elle fait] du document un lieu d’expérience » [51] pour, enfin, que tout « l’espace confiné du savoir » y soit saigné et bouleversé. Une cause dansée en porte les traces indicielles, et par un jeu de tensions les définit comme de nouvelles visibilités de l’expérience Warburg-Oraibi : si les documents visuels jouèrent bien sûr un rôle central à l’écriture, c’est par le hors-champ du texte qu’ils agissent essentiellement. De leur non-visibilité à ce qui se voit dans le texte, une énergétique se déploie que Warburg pensait, lui aussi, comme le noyau central duquel surgissent les images [52]. Cette opération, les notes pour une « conférence imprononcée » la conduisent selon plusieurs plans, qu’il s’agisse d’éclairer le mouvement par lequel Warburg remonte de la “source” Hopi à l’oralisation de sa conférence [53] :

« 29  Raconter ne consiste pas, en recourant aux mots, à dupliquer l’événement.

30  Raconter transpose et transfigure. »

« 36 Une chose est voir la chose, une autre voir ce qu’elle nous fait dire.

37  Une autre encore voir cequi est dit par un autre que soi.

38  Si vous voyez ce que je veux dire.  » [54].

Mais cette conférence ainsi présentée est encore une autre manière de revenir, un autre déplacement, vers l’analyse philologique que ne put faire Warburg de la langue Hopi et de sa grammaire, étant entendu qu’il en ignorait tout.

fig.21 Liste des diapositives

Les trois sens compris du mot cause d’Une cause dansée, agissent comme effet, procès et raison, et opèrent ainsi, dans le livre, une poétique contiguë à celle de la langue Hopi. Les « notes » de cette quatrième partie sont aussi liées à la géographie des lieux, à la toponymie comme au climat, dont l’aridité foncière a motivé le rituel du serpent ; de même qu’elles ne se séparent pas de toute la documentation collectée par Warburg. Si on ne peut séparer la teneur d’une langue ainsi que son expression du temps des images qui la fondent, on ne peut pas séparer davantage les images produites par la langue (qu’il s’agisse d’ekphrasis, de mythes, de poèmes, ou d’histoires, etc.), de celles qui échappent au système linguistique. Ainsi cette danse rituelle si particulière de l’indien Hopi, libérant les serpents de sa bouche de danseur, s’achève-t-elle par les dessins que le corps du reptile imprime dans un rectangle de sable dessiné (fig. 22).

fig.22 (a)(b)

Cadrer, atte(i)ndre, traduire, tous ces moments ne sont donc pas séparés de la façon dont la langue Hopi est interrogée par Pierre Parlant dans son livre. C’est l’une des raisons pour laquelle Une cause dansée se centre sur les travaux du linguiste et de l’anthropologue Benjamin Lee Whorf, né l’année 1897, c’est-à-dire exactement l’année où Warburg sillonne l’Arizona et le Nouveau Mexique :

« 100 Benjamin Lee Whorf étudia non seulement la culture de ces Indiens d’Arizona qu’il eut l’occasion et le bonheur de fréquenter, mais il soutint une thèse originale à propos de leur langue, elle-même appartenant au groupe uto-aztèque.

101 La thèse de Whorf s’inscrit dans le sillage de la conception humboldtienne du rapport monde-langage et langage-pensée.

102 On se souvient que selon Wilhelm von Humboldt, chaque langue configure une « Weltbild [image du monde] », produit une « Weltansicht ».

103 Ou, si l’on veut, une vision du monde.

104 Whorf parlera quant à lui d’un « world outlook [conception du monde] » [55].

Entré en scène, Lee devient le pivot à partir duquel la spécificité de la langue Hopi se dépose, se déploie. Au gré de ces 304 propositions, depuis certains points aveugles de la vie savante de Warburg, à la passion philologique qu’orchestre Lee Whorf, s’élabore des lignes de fuites avec ce que Warburg affirme dans sa conférence. Les perspectives nouvelles qu’Une cause dansée dessinent sont la conséquence d’une relation transférentielle imaginaire entre le Warburg théoricien et le narrateur de la Cause dansée, théoricien lui-même. Tout se passe donc comme si le narrateur d’Une cause dansée nous transmettait, dans un mouvement de contre-transfert, le dépôt du conflit inconscient duquel Warburg tentera de s’extraire par la conférence de 1923. On ne peut alors qu’imaginer quelle conséquence merveilleuse l’étude de Lee aurait pu produire sur le projet Mnémosyne si Aby Warburg avait pu profiter de ses élucidations. Et comment celles-ci l’auraient définitivement émancipé de la linéarité du « régime d’historicité chrétien » (F. Hartog) [56]
par lequel se hiérarchisent les gestes et les œuvres des civilisations.

Toutes ces questions, Une cause dansée les rassemble. D’autant qu’elles rendent tangibles le zigzag du temps tel qu’il se dépose dans une langue, celle des Hopis, exemplairement :

« 181 Chez les Hopis, Ho’ci-cita veut dire « ça forme un zigzag ».

182 Sous le signe de l’angle droit, le segmentatif signe l’apparition dérivée et continue du zigzag.

183 Zigzag ne correspond évidemment pas à la répétition aveugle et
mécanique de l’angle droit mais, grâce au suffixe qui supplémente son schème, à son prolongement dynamique. (…)

« 191 Dès que le temps cesse d’être pensé en tant qu’objet, il devient impossible de l’évaluer quantitativement.

192 Il ne saurait y avoir, par conséquent, ni plus ni moins de temps.

193 Et si le temps n’a plus rien d’un objet, il est absurde d’espérer y trouver une inscription, ce que nous faisons spontanément, non sans une certaine désinvolture, sur l’axe figuré, orienté, d’un prétendu passé-présent-futur.

194 La fameuse « flèche du temps »

195 Ce qui exige a contrario pour avancer dans la compréhension des gestes qui s’accomplissent à Oraibi, notamment en dansant, de briser ladite flèche. » [57]

Aussi, les 48 diapositives choisies par Warburg pour sa conférence de 1923 génèrent-elles par leur agencement (auquel le bruit mécanique de l’appareil participe) les conditions d’une anamnèse ; laquelle non seulement actualise la réminiscence de son expérience Hopi, mais renforce pour Warburg l’intuition de suivre jusqu’au bout cette conception inédite du temps et de l’historicité. Source rémanente, résurgente, survivante, la cause dansée entre Athènes-Oraibi revient vers nous qui l’interrogeons aujourd’hui par ce saut vertigineux. Mais cette cause, comment l’atteindre ? Comment la suivre ? Warburg, peut-être, la tint-il en mire, comme hypnotisé par le mouvement d’un pendule (fig. 23) [58], peut-être même fut-elle aussi pour lui façon d’articuler ses hantises avec toutes les traces indicielles que les images portèrent à son regard ?

Car ce que nous voyons est ce qui nous regarde [59].

fig.23

Ce que son ami Fritz Saxl [60] rappelle aussi dans le texte qu’il écrit du rapport des indiens Hopis au processus de symbolisation : « (…) dans ses pensées, [l’indien Hopi] omet le “comme” qui maintient séparés les deux éléments de sa comparaison : pour lui l’éclair est le serpent. Il a la même forme en zigzag que le serpent qui s’enfuit ; il est son ennemi mortel, exactement comme le serpent. En les mettant sur le même plan, il peut saisir l’insaisissable. En d’autres termes : un symbole sert à circonscrire une terreur sans forme  ». Les documents photographiques que Warburg utilise à la clinique Bellevue participent probablement du même processus de symbolisation, tout autant que comme « capacité analytique » [61], ainsi que nous le précise Philippe-Alain Michaud. En effet, la première fonction de la photographie consiste non seulement à reproduire son modèle avec fidélité, mais elle permet d’accéder à la structure moléculaire de celui-ci. Alors qu’Aby ignorait tout de la particularité du rapport de la langue Hopi au temps, rétrospectivement il fait le constat que tout son matériau photographique épouse intimement cette conception temporelle propre à la langue Hopi, à laquelle une vision non-duelle du monde est intrinsèquement liée.

En outre, les photographies d’Une cause dansée réalisées par Pierre Parlant, lors de son voyage en pays Hopi il y a un peu plus de dix ans, comptent moins pour leur caractère documentaire, que pour trois autres motifs qu’il nous semble essentiel de rappeler : tout d’abord leur place dans l’économie du texte. Le lecteur constatera, en effet, qu’une photographie du territoire Hopi, embrassant ciel et route, ouvre chacune des sections. Par ailleurs la fonction iconographique de ces photographies pleine page, à bords perdus, ne redouble-t-elle pas l’effet d’immensité que le désert d’Arizona impose au voyageur et conjointement l’absence de limites ? Enfin, leur statut, car les photographies de l’auteur produisent à la fois un effet de réalité et de distance, effet d’autant plus troublant que le narrateur est lui-même armé d’un appareil photographique. Aussi ces images en noir et blanc permettent-elles une lecture simultanée d’une infinité d’images mnémosynes.

fig.24 « la corde-serpent » , Navajo woman making pitas, Avril 1896.

L’une des photographies prises (fig. 24) [62] par Warburg [63] introduit, par ses indices, un relais entre ce dont elle témoigne et ce qu’elle dépose sous nos yeux : à savoir sa traçabilité. La corde est le serpent dans le sens où elle révèle que les images (fig. 25, a&b), incessamment parcourues de matériaux contaminés et impurs, ne sont jamais orphelines [64]. Une cause dansée écrit « ça », rendant perceptible la sinuosité de la rêverie pensante, celle qui, de divagations en conjectures, de scolies en intuitions lumineuses, dessine une pérégrination où l’on n’est jamais seul :

« 295 — Entreprenant l’allure d’une danse, dans la touffeur de l’été des mesas, j’entends qu’une prière monte.

296 — Serpent est le nom de l’appariteur  ».

« 304 En attendant la pluie, loin du fleuve, reste à poser le saphir sur le sillon d’un disque noir pour écouter cette fois le chant, yeux fermés ; et que débute enfin la danse qu’on aura pu voir »

Emmanuel Laugier [65]
Nîmes, avril 2021

fig.25
(a) Kiwa et dessins de serpents au mur

(b) serpents dessinés


Emmanuel Laugier

9 juin 2021
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[1« Notes pour une conférence imprononcée », entrée 30, in Une cause dansée, p. 198, cf. infra.

[2In L’Invention du verre, Paris, P. O. L, 2003, p. 73.

[3In L’Acacia, Paris, éditions de Minuit, 1989, p. 226.

[4In Le Rituel du serpent , Paris-Genève, éditions Macula,2015, p. 68.

[5In Enfer XXVI 89-90.

[6Sur cette « expression » on peut lire ce que Pierre Parlant en dit dans le volume collectif consacré à son travail pp. 29-54 :Pierre Parlant, Coopérative des littératures, éditions Nous, 2018. 

[7Caen, Éditions Nous, 2014.

[8Caen, Éditions Nous, 2017.

[9Mnemosyne est le nom de l’Atlas composé essentiellement d’images auquel Warburg travaille à partir de 1923. L’Atlas Mnémosyne a été reconstitué par Marianne Koos, Gudrun Swoboda, Wilfream Pichler, Werner Rappl. Les éditions L’Écarquillé en ont publié les 63 planches dans l’édition de Roland Recht en 2012, dont le texte suivant précise le projet warburgien : « Aby Warburg a été le 1er à définir une méthode d’interprétation iconologique, s’il a créé une bibliothèque des sciences de la culture unique au monde, l’innovation décisive qu’il a introduite dans le champ épistémologique est bien Mnémosyne : œuvre absolument originale et unique, dont l’ambition n’est rien moins que de poser les fondements d’une grammaire figurative générale et unique, et qui ouvre des perspectives dont la portée n’a pas encore été totalement mesurée. Par la complexité des problèmes auxquels s’est confronté Warburg face à cet immense corpus d’images, c’est l’attention de l’ensemble des sciences humaines qu’il a attiré sur son œuvre. Resté inachevé à la mort de l’auteur, ayant mobilisé l’énergie intellectuelle et physique de ses dernières années, Mnémosyne peut être considéré comme l’aboutissement de toutes ses recherches. Il constitue le plus ambitieux corpus d’images jamais réunies (…) ».

[10D’abord publié en 2003 aux éditions Macula, fondées et dirigées par Jean Clay, Le Rituel du serpent a été réédité en 2015 aux mêmes éditions avec une introduction de Joseph Leo Koener ainsi que des textes de Friz Saxl et Benedetta Cestelli Guidi, et de nombreux documents iconographiques. Traduit de l’allemand par Sibylle Muller, Philip Guiton pour l’anglais et Diane H. Bodart pour l’italien.

[11Né à Hambourg en 1866 et mort dans la même ville en 1929

[12La photographie du vinyle « Chant of the Snake Dance (Hopi Indian Chanters) 20043-B » est reproduite à la dernière page d’une Cause dansée.

[13Sur l’interprétation de cette formule, ses origines, et ce qu’y entend dire Warburg, voir l’introduction de Joseph Leo Koener au Rituel du serpent, p. 42, cf. infra.

[14In Une Cause dansée, entrée 205, p. 214, cf. supra.

[15Dans une lettre à Freud, datée du 8 novembre 1921, Binswanger écrit : « Je pense que son excitation psychomotrice va décroître peu à peu, mais je ne crois pas qu’un rétablissement "quo ante" de la psychose aiguë soit possible, ni une reprise de son activité scientifique », traduit par M. Strauss, Paris, Calmann-Lévy, 1995, pp. 231-232.

[16On peut entendre le ton de ce phrasé se densifier et varier ses angles d’attaque dans chacun de ses livres. On se référera à la page 209 du volume qui a été consacré à Pierre Parlant où une biobibliographie relativement complète rappelle son trajet. Cf. supra.

[17Une Cause dansée, Caen, éditions Nous, 2021, pp. 156-157.

[18Successivement : a) Groupe statuaire du Laocoon, vers 40 av. J.-C., Musée Pio Clementino, Vatican ; a bis) Déesse aux serpents, Statuelle chryséléphantine, Crète, 1600-1500 env. av. J. C., Minoen tardif. Boston, Museum of Fine Arts ; b) Bacchus et un serpent, fresque de la Maison duCentenaire, Pompéi ; c) Botticelli, Le Printemps, détail, 1478-82, Galerie des offices, Florence ; d) Hugo van der Goes, Adoration des bergers (panneau central), 1472 ; Galerie des Offices, Florence ; e) Peinture de sable dans une kiwa, représentant quatre serpents-éclairs.D’après H.R. Voth, Oraibi Sumer Snake Ceremony, 1893.

[19Photographie d’Aby Warburg, « The inside of a house or of a Kiwa », April 1886.

[20Il se trouve que le fameux danseur russe suit une cure dès 1919 dans la même clinique où il rencontre Warburg.

[21Warburg précise lui-même dans ses notes que le livre en question est celui de Gustaf Nordenskiöld The Cliff Dwellers of the Mesa Verde (Southwestern Colorado, Stockholm-Chicago, 1893 pp. 144-146), et que l’image est une mauvaise reproduction en couleur d’un indien debout devant une faille à l’intérieur de laquelle étaient construits ces villages ; in Philippe-Alain Michaud, Aby Warburg et l’image en mouvement, « Annexe I. Aby Warburg : Souvenir d’un voyage en pays pueblo, 1923 », Paris, éditions Macula, 2012, p. 278.

[22Ibidem, p. 197.

[23Ibid idem.

[24Pierre Parlant écrit à leur sujet ceci : « tronc entaillé n fois en guise de marches afin de s’élever du côté du profond, être à claire-voie », ibidem, p. 50.

[25Ibid idem, p 203.

[26Fig. 9 : Fresque de Domenico Ghirlandaio (entre 1480 et 86), chapelle Sassetti, église Santa Monica, Florence. 9. Bis : Giotto, Scène de la vie de saint François, fresque (1325), chapelle Bardi, église Santa Croce.

[27In Philippe-Alain Michaud, Aby Warburg et l’image en mouvement, p. 205.

[28La naissance de Saint Jean-Baptiste, Florence, église Santa Maria Novella, Chapelle du chœur central. 1845 ; b, Porteuse d’eau à Laguna. Londres, Warburg Institute Archive. Cliché de A. W.

[29Garrick Mallery,Sign Language among North american indians.Washington, Smithsonian Institution. 1880, p. 291 ; InPhilippe-Alain Michaud, Aby Warburg et l’image en mouvement, p. 341.

[30Une Cause dansée, supra, p. 199.

[31Ibidem, cf. supra, p. 189.

[32In Le Rituel du serpent, cf. supra, p. 62, note 29.

[33A ce sujet on trouvera dans les annexes du livre de Philippe-Alain Michaud, Aby Warburg et l’image en mouvement, les notes préparatoires de la conférence d’A. W (qu’il ne souhaitait pas voir publiées), ceci : « Les images et les mots doivent être un secours pour la postérité dans sa tentative de réfléchir sur elle-même, de se défendre contre le tragique de la tension entre l’instinct magique et l’inhibition, pour ceux qui, après moi, voudront accéder à la connaissance de soi et abolir la tension tragique entre magie instinctive et logique discursive. La confession d’un schizoïde (incurable), versée aux archives des médecins de l’âme », cf. supra, p. 207.

[34Une Cause dansée, supra, p. 98 et p112.

[35Les dernières pages du Rituel du serpent sont très claires à ce sujet : se référant à l’un des instantanés qu’il fit dans les rues de San Francisco en février 1896, où un homme « coiffé d’un haut-de-forme » marche fièrement, surplombé à l’arrière-plan d’un poteau de fils électriques, Warburg écrit : « Le serpent à sonnettes n’épouvante plus l’Américain d’aujourd’hui. On le tue, on ne lui voue plus de culte comme à une divinité. Ce qu’on lui oppose, c’est l’extermination. L’éclair prisonnier dans un fil, l’électricité domestiquée ont produit une civilisation qui rompait avec le paganisme », cf. infra, p. 119.

[36serpent lavé, hypnotisé par on ne sait quel regard, serpent sorti de la gorge des bergers pour pendre à la bouche de l’initié Hopi dans l’univers de la pastorale, sur laquelle Nietzsche revient dans Ainsi parlait Zarathoustra. In Aby Warburg et l’image en mouvement, pp.237-238. Cf. Supra.

[37Giovanni Careri, dans « Aby Warburg : Rituel, Pathosformel et forme intermédiaire », précise : « L’analyse de ces « réseaux » ne se limite pas à décrire des transferts de formes et de contenus dans d’autres formes expressives s’éclairant les unes par les autres. L’ambition de Warburg est beaucoup plus grande : la construction d’un dialogue entre l’image, l’action et le mythe est la seule « orchestration » qui puisse proposer une expérience herméneutique susceptible de rendre compte de quelque chose qui dépasse chacune de ces formes et que Warburg nomme « la conception de la vie (Gegensätze der Lebensanschauung) » et parfois aussi « l’expérience vécue (Erlebnis) » ; p. 44, in L’Homme, Revue française d’anthropologie, N°165| janvier-mars 2003 ; pp. 41-76.

[38Comme un canoë à son pagayeur. Ce qui signifie, c’est du moins mon hypothèse, que cette méthode est déjà présente et activée dans les deux livres précédents de la trilogie, Les courtes habitudes et Ma durée Pontormo. Cf. supra notes 5 et 6.

[39Philippe-Alain Michaud, dans le chapitre « Mnémosyne I. Zwischenreich –Mnémosyne, ou l’expressivité sans sujet », parle d’ailleurs plutôt « d’une énigmatique fonction pré-discursive » dont témoignent, sur les planches du projet Mnémosyne, les espaces irréguliers qui séparent les images, les insularisant autant qu’ils forment entre elles « une syntaxe spécifiquement cinématographique » ; cf. supra. pp. 320-345.

[40Ibidem, p. 323.

[41Ibid idem.

[42Une cause dansée, supra, p. 38.

[43Successivement : (K7) Billings ; (K9) Poteries II ; (K3) Santa Fé ; (K4) Laguna I ; (K5) Laguna II ; (K6) Oraibi, espace intérieur ; (K11) Dessin de Cleo Jurino ; (K12) Kiwa ; (K16) Acoma IV (église, ornement) ; (K17) Grenier avec échelle.

[44Les photographies faites à la fin du XIXe par Warburg, H. R. Voth ou G.-W. James du rituel, écrit Philippe-Alain Michaud, montraient les danseurs pris dans un halo « qui les soustrayait à leur pleine visibilité », la frénésie de leurs gestes, la poussière qu’ils soulevaient, empêchaient ainsi d’en distinguer clairement les phases et la succession, comme si c’était là sa façon d’empêcher de le saisir dans sa totalité et, peut-être, d’en interdire l’accès. cf. supra, Aby Warburg et l’image en mouvement, p. 240.

[45Il s’agit de la dernière partie d’Une cause dansée. On y trouvera 304 entrées des pages 195 à 223.

[46Quei loro incontri (2006) est le titre que Danielle Huillet et Jean-Marie Straub donnèrent au film qu’ils réalisèrent à partir des Dialogues de Leuco de Pavese.

[47Une cause dansée, cf. supra, p. 203.

[48Sur l’interprétation de cette formule, ses origines, et ce qu’y entend dire Warburg, voir l’introduction de Joseph Leo Koener au Rituel du serpent, p. 42, cf. infra.

[49De gauche à droite : Statue d’Asclépios du sanctuaire d’Epidaure, copie d’un original du IVe siècle av. J.-C., Musée national archéologique d’Athènes ; Chants des serpents. Edouard Curtis, 1905 ; Rituel du serpent. Phoenix Hamaker, 1899.

[50Giovanni Careri écrit encore : « Pour comprendre la démarche de Warburg, il faut donc commencer par se débarrasser de l’idée que l’art représente de façon emblématique une Weltanschauung [vision ou conception du monde] qui aurait déjà trouvé sa forme dans la vie sociale, et essayer de montrer comment le dialogue entre les rites, les images et les mythes donne forme à quelque chose qui n’en n’avait pas jusqu’alors. Il est important de relever que Warburg utilise le terme « conception de la vie » pour désigner ce qui n’a pas encore acquis une détermination précise mais qui « pousse » de l’affect vers la forme. La tentative de Warburg est précisément d’étudier le territoire mouvant dans lequel les affects et les formes se rencontrent et se constituent en figures : dans cette perspective, la notion de Pathosformel (formule du pathos) est décisive », p. 45, cf. supra.

[51Je reprends ici ce que dit Philippe-Alain Michaud,Aby Warburg et l’image en mouvement,p. 197.Cf. supra.

[52C’est ce que montre Karl Sierek dans Images oiseaux, Aby Warburg et la théorie des médias, dans le chapitre « Photo » (p. 53-81) : « Pour Warburg aussi, bien sûr, une image représente quelque chose et rend les choses visibles. Mais ce qui la constitue dans son noyau essentiel, c’est la tension intérieure de son champ énergétique : l’image comme energeia, dans son mouvement de l’œuvre à l’effectivité » ; Paris, éditions Klincksieck, 2009, p. 55.

[53Sur la dramaturgie de la conférence de Warburg, cf. l’article très documenté, de Philippe Despoix,« Conférence-projection et performance orale :Warburg et le mythe de Kreuzlingen, Intermédialités N° 24-25, automne 2014-printemps 2015 : Projeter/ Projecting , sld de Larisa Dryansky et Érika Wicky. https://www.erudit.org/fr/revues/im/2014-n24-25-im02279/.

[54Une cause dansée, cf. supra, p. 199.

[55Ibidem, p. 206.

[56Je fais référence ici à l’entretien entre Pierre Parlant et Michèle Cohen-Halimi au sujet de son livre L’action à distance – Essai sur le jeune Nietzsche (ed. Nous, 2021). De la « ligne du temps », Zeitlinie, comme Nietzsche l’appelle, écrit-elle, « il en résulte, une interaction mouvante d’atomes temporels énergétiques, plus ou moins éloignés les uns des autres, déployant un champ de forces, tramant un enchevêtrement de retours anachroniques et d’éloignements provisoires. Ce que François Hartog nomme « le régime chrétien d’historicité » est donc défait. C’en est fini de l’horizontalité de la ligne du temps qui signifie la continuité et par conséquent la mesure, mais aussi la correspondance de la succession objective et de la succession causale et par conséquent la narrativité selon l’avant et l’après. La ligne du temps est verticale, elle fond sur nous comme une cataracte énergétique, elle est agitée par le flux et le reflux, elle nous approche du plus lointain et nous éloigne du plus proche, elle progresse par sauts (en arrière, en avant), elle est faite d’anachronismes et de retours intempestifs : la re-naissance des temps passés est devenue pensable. », in https://diacritik.com/2021/04/07/penser-a-la-lettre-pres-entretien-avec-michele-cohen-halimi/.

[57Une cause dansée, cf. supra, p. 213-214.

[58L’esquisse de pendule dessiné par Aby Warburg représente l’Umfangsbestimmung. Warburg Institute Archive, Zettelkasten Ae. [sthetik]-Aphorismen, Nr. 399. WIA, ZK [not numbered]. Warburg Institute Archive, London. Sur la notion kantienne traduite par « détermination de l’extension catégorielle » et la façon dont Warburg l’emploie, on peut lire ce qu’en écrit Diana Elena Zarnoveanu dans sa thèse L’image entre réflexion et représentation : Aby Warburg et Walter Benjamin. Université de Montréal, 2012, p. 77. On peut lire sa traduction dans Fragments sur l’expression, textes établis par Susanne Müller et traduit par Sacha Zilberfarb. Paris, éd. L’Ecarquillé, 2015, pp. 260.

[59Cette référence renvoie bien sûr au titre du livre de Georges Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde (éd. de Minuit, 1992) qui appelle comme à l’avance, par la critique qu’il fait d’un certain post-modernisme et par l’analyse qu’il fait du processus de la sculpture minimaliste de Tony Smith, ce qu’il développera dans ses différents livres sur Warburg, notamment L’Image survivante (éd. de Minuit 2002) et L’Œil de l’histoire Tome 3 : Atlas ou le Gai savoir inquiet (éd. de Minuit, 2011).

[60Dont le colophon d’Une cause dansée réfère le jour de naissance (le 8 janvier). On ne pouvait pas ne pas ici rendre hommage à l’historien de l’art Fritz Saxl (1890-1948), que Warburg chargea dès 1913 de diriger sa bibliothèque. Il fonda en 1921 l’institut Warburg et en devient le directeur à sa mort, en 1929, en le citant enfin ; « Le Voyage d’Aby Warburg au Nouveau Mexique »,in Le Rituel du serpent, p. 141, cf. supra.

[61in Aby Warburg et l’image en mouvement,« La photographie de mouvement, « New-York La scène cinématographique », p. 41., cf. supra.

[62Karl Sierek, dans Images oiseaux, Aby Warburg et la théorie des médias, écrit très justement ceci en se référant au corpus de photographies faire par Warburg à Oraibi et dans les régions du Nouveau Mexique : « Avec l’image suivante, un plan semi-rapproché cette fois, Warburg introduit le motif central de ce micro-récit photographique : une corde dont la forme sinueuse évoque un serpent rampant devant la femme, et qui relie ainsi son travail photographique à ce qui constitue la principale problématique théorique de son voyage en Amérique. Il reviendra sur ce thème vingt-sept ans plus tard, le 23 avril 1923, dans sa conférence sur le rituel du serpent (…) », p. 59, cf. supra.

[63In Photographs at the frontiers, Aby Warburg in America 1895-1896 ; édité par Benedetta Cestelli Guidi & Nicolas Mann. Londres, Merrell Holberton Publischers in association with The Warburg Institute ; 1998, p. 107.

[64« chaque geste appartient à l’opus, pas une image n’est orpheline, se persuade Warburg en tirant le rideau, aucune ne l’a jamais été (…) » ; in Une cause dansée, p. 38, cf. infra.

[65Ma gratitude à Christine Plantec pour sa relecture et ses remarques.