Avigaïl Mélèze | Un quart d’heure par jour
Présentation :
Ces textes ont été le plus souvent réalisés a posteriori. Une a été rédigée sur le moment même, pendant 15 minutes — montre en main. Les autres racontent ce qui s’est passé pendant 15 minutes. Les 15 minutes concernent donc le souvenir de ce court de temps passé. Leur temps de rédaction peut être plus long ou plus court.[AM]
Allo, ouais … ouais…. Non … _________________________ non …..j’sais pas.
..._____________________hum_______________
Oui __________________________ « souffle » ________________________
Hum , non … _________________ okey …________________________....___
humhum … ____________________________________________
Ouais, y’a pas ….. nan______________________________________________
… _________________ « reniflement » _
Je sais pas … ouais dans le frigo ____________
okey____________________________________________
Bon je dois y aller… ________________________________________________
… _______________________________
okey ! ________________________________________
… ! ___________________________________ oui ______________
Hum _________________________________ hum _______________________
Nan, … nan plus ___________________________________________________
Ciao, _________________________________________ ouais, salut .
[12 minutes, 35 secondes fin d’appel ]
J’attends le bus. On se les caille sec ici ; Si tu regardes bien, t’es pas le seul à avoir froid. Ils ont tous froid, sont fatigués, limite déshumanisés. Si tu regardes bien, leurs regards sont vides, ils pensent juste à quand ce bus arrivera t’il. Certains ont faim, ou sont malades. A cette heure là, y’a plus de gosses. Tant mieux pas de poucettes encombrantes ni de cris assourdissants. Il se magne le bus ? Tu fais un pas sur la chaussée pour voir s’il arrive, mais non. En plus y’en a deux, c’est à celui qui arrivera le premier. Un peu comme un jeu, tu te demandes : « le rose ou le bleu en premier ? ». T’établies des pronostiques foireux, histoire que le temps d’attente paraisse moins long.
Tiens, en face y’a le rose qui vient d’passer. A ce moment là, t’aimerais prendre le bus d’en face, mais c’est stupide, le bus d’en face te ramène pas chez toi.
Y’a dl’a fumée qui sort de ta bouche, et aussi de la bouche des autres gens. Ça veut dire que tu respires la fumée des autres ? Tu trouves ça dégueulasse mais bon en même temps tu vas pas arrêter de respirer !
Des phares, plus grand que ceux des voitures. Enfin, ce bus. Les gens assis se lèvent, les autres s’avancent, ça va être un plan stratégique pour chacun. On veut tous une place. Ça va être la guerre. Les vieilles en profitent d’être vieilles pour se faire de la place. Qui oserait pousser une vieille en effet ? Les autres jouent des coudes et des pieds. La couleur du bus … on l’a même pas vu.
J’suis dans mon lit. Il est là, majestueux et dominateur. Il parle de mineurs et de pognon. Parler c’est pas vraiment le mot, cracher j’dirais plutôt. Des grossièretés qu’il crache à propos de seins siliconés. Il m’dit aussi qu’il va faire froid, encore, … marre de se geler le bout des doigts. Mais avant d’avoir froid, rester encore un peu sous la couette, à par elle et ton oreiller, y’a besoin de rien d’autre. A part lui. Tiens, il a arrêté d’gueuler d’ailleurs. Le silence le vrai, les fenêtres et les volets clos, le chat est ailleurs, même pas une mouche qui pète. Juste ta respiration. Même si t’essaies de faire le moins de bruit possible, tu t’entends, tu te devines. En fait, même tu respires tout doucement, pour voir si on peut ne rien entendre. Mais ça marche pas, et puis ton ventre vient de s’exprimer. C’est la dalle qui parle, et l’autre qui recommence à grogner. Ça aura duré cinq secondes à tout casser ce silence. J’dis ça mais l’autre j’l’aime bien, et j’aime pas le silence, toi non plus t’aime pas le silence, qui aime encore le silence ? C’est navrant mais pas la jeunesse en tout cas ; non, la jeunesse aime le bruit, c’est la chanson qui le dit.
Je ferme la page météo, ça me rappelle qu’il va faire froid. Je ferme le clapet, la pomme clignote, silence de nouveau.
Beaucoup trop de bruit. Ça gueule de toute part. Tu essaies de lire sur les lèvres, mais tenir une conversation comme ça, ça va pas être possible. Tu acquiesces de la tête, et tourne le regard pour ne pas donner suite à la conversation. Ton verre se vide beaucoup trop rapidement. D’autres se fracassent par terre. Y’a des bouts de verre éparpillés, et surtout ce liquide qui s’écoule, comme une flaque de sang. Oui, très rapide, la flaque vient encercler la chaise, se cogne à ta chaussure et horreur… prend ton écharpe, qui trainait, pour éponge. Contrariée, tu t’empresses de relever ton écharpe, et décale ta chaise. Seulement, te revoilà face à face dans ton rôle de sourde et muette. Tu esquisses un sourire et un prétexte pour te lever. Tu fuis le bruit ; la foule ; le relou ; et la flaque. Ici il fait froid. T’as laissé ta veste en bas. La fumée sort toujours de ta bouche. Et tu fumes, enfin d’abord tu sors, tu allumes, tu tires et tu expires. Et tu passes les sept prochaine minutes à tirer et à expirer, tirer, expirer.., tirer…, expirer..
Assise, la capuche sur la tête, il t’ignore. T’attends de voir, encore un peu. Il sort de la chambre, souris aux amis, va pisser un coup, et retourne dans sa chambre sans oublier de fermer la porte. Tu fixes la porte, enlèves la capuche, tire un latte, une grosse, pour aider la pilule à passer. C’est pas que tu sois contrariée.. mais presque. Tu mets remets ta capuche, parce que tu sais pas quoi faire d’autre. T’as pas envie de parler aux autres, t’as plus envies, tu l’as trop fait. Ton regard se repose sur cette porte. T’aimerais la transpercer du regard, voir la faire bruler, mais t’as pas de pouvoir magique et rien ne se passe même si tu continues de la fixer, cette porte. Marre d’attendre, tu te lèves, entrebâilles la porte, toujours la capuche sur la tête, tu te sens un peu conne, mais tu peux pas l’enlever c’est comme ça. Tu lances un bref « salut ! », un peu trop aigu, dans lequel t’entends une pointe de regret et de reproches. Il se retourne à peine, avec un signe de la main sans vraiment lâcher des yeux son putain d’écran. Tu refermes la porte, avec plus de violence que prévu. Toujours la capuche, la sienne d’ailleurs, tu prends ton sac, tu te barres. T’aimes bien la capuche, celle-ci en particulier. Plus tu répètes le mot “capuche”, plus celui-ci parait étrange, et se dénude de tout son sens.
Capuche,
capuche ,
capuche…
capuche ..
capuche ,
caaaapuuucheee,
ca..pu..che..
ca.. quoi ? tu ne trouves plus de sens à ce mot que tu portes sur la tête, te ne trouves plus de sens à la porter. Tu ne veux plus de « CAPUCHE ». Ce mot parait débile à présent.
Noire. Rouge. Noir, carton. Beige, porte. Marron sol. Blanc-cassé, murs. Vert, petit pot. Noire, veste. Marron, chaise. Vertes, plantes. Noir, parapluie. Bleue, petite échelle. Vertes, toujours les plantes. Mais vert, cahier. Orange, cahier aussi. Blanc, le chat et bleu ses yeux. Marron, le sommeil. Et paisible, la chaise. Crayon, pointu. A fermeture, la veste. Noire. A capuche noire, la veste fermée. La chaise encombrée, marron sous la capuche. Vide entre blanche et marron. La porte entrouverte, à demi blanche, demi marron. La noire touche presque la blanche. Effet d’optique à cause des marrons. Chaise et sol. Deux noires, deux vestes. Un sol, deux marrons. Six chaises, un marron. Trois marrons. Des yeux échelles, une échelle fermée. Si vert sur le blanc, des plantes grimpantes. Un sommeil profond, des yeux clos, une échelle inutile. Deux bleus hors de cause. Plus de bleu. La marron et le noir prédominent. Reste le vert et le blanc. On élimine cahier, on élimine orange. 15 minutes, time up, no winner. Dimanche.