« Scène de rencontre »
Il existe de nombreux objectifs à un atelier d’écriture [1]. On les imagine, on les consigne dans des dossiers de subvention, on les rêve parfois… et de temps en temps on les réalise.
C’est l’impression que nous avons eue le vendredi 17 février dernier, lors de la venue de Michel Simonot au lycée, devant la classe de première STMG.
Petite chronique d’une rencontre, au cœur de la littérature.
Ismaël Jude anime un atelier d’écriture hebdomadaire dans la classe de 1re 1 du lycée Germaine-Tillion du Bourget (93). Cette classe est la seule première technologique (STMG) de l’établissement, à laquelle nous avons choisi d’attribuer le numéro 1, et avec laquelle nous tentons de mener des projets ambitieux, pour contrevenir aux représentations qui ont cours sur cette filière, représentations que les élèves eux-mêmes ont le plus souvent intériorisées d’ailleurs.
Au début de l’année 2023, Ismaël a donc commencé les séances d’écriture, selon un dispositif ritualisé. Les tables sont organisées en carré, les carnets d’écriture sont distribués aux élèves puis repris en fin de séance, chacun lit les textes qu’il a produits après chaque exercice. Nul besoin de rappeler ici les objectifs, ni les vertus de cette mise en œuvre.
Ismaël a lui-même, dans son article, évoqué les propositions qu’il avait faites aux élèves pour entamer ce que nous nous étions fixé ensemble : leur faire écrire du théâtre.
Parallèlement, comme je suis leur professeure de français, je leur ai fait étudier Juste la fin du monde, de Lagarce, dans le cadre de la préparation au baccalauréat, et les ai emmenés deux fois au théâtre durant le mois de février.
Dans le cadre de la résidence d’écrivain, l’idée a été lancée très tôt par Ismaël Jude de faire venir un auteur de théâtre à la rencontre des élèves.
Cette rencontre a eu lieu dès le vendredi 17 février 2023.
Michel Simonot est un homme d’un certain âge, qui s’était blessé à la jambe quelques jours avant de venir au lycée. Il avait tenu à maintenir sa venue, et offrait un visage souriant, une généreuse attention à notre égard. Il claudiquait un peu et en plaisantait lui-même devant les élèves.
Nous n’avions pas beaucoup préparé la rencontre, si ce n’est en l’annonçant à la classe, en évoquant très sommairement les œuvres du dramaturge, et en faisant lire quelques extraits du But de Roberto Carlos, qui avait servi de support à un exercice d’écriture lors d’une séance.
Les trente élèves de la classe étaient présents, et quelques livres de l’auteur circulaient dans la salle : Le But de Roberto Carlos, Charlie Delta Charlie, Traverser la cendre.
Ma collègue Solenne, professeure principale de la classe, et moi, nous demandions comment allait se dérouler cette heure de « cours ». Nous étions un peu inquiètes, il faut bien l’avouer.
Le dialogue a duré une heure. Comme un temps suspendu.
Il n’y a eu aucun moment de gêne, aucun silence initial. Ce qui aurait été tout à fait compréhensible pourtant.
Les élèves n’ont pas non plus commencé par leurs traditionnelles questions « d’approche », celles qui les rassurent sans doute, et posent un cadre concret, matériel, objectivable, au « métier » qu’exerce l’intervenant venu se présenter à eux, comme par exemple : « combien gagnez-vous ? », « combien de livres avez-vous vendus ? », etc. Au contraire, et même si l’inverse n’aurait été ni surprenant ni décevant, ils ont immédiatement osé interroger Michel Simonot en tant que dramaturge.
Pour commencer, ils ont voulu savoir comment il choisissait les thèmes de ses livres.
Michel Simonot a alors évoqué, en particulier, Delta Charlie Delta qui traite du drame de novembre 2005 à Clichy-sous-Bois ; ou encore Le but de Roberto Carlos dont le titre évoque l’univers du football. Les élèves n’ont pas spécifiquement porté attention à ces deux contextes qui pouvaient a priori – à nouveau selon nos stéréotypes - les « concerner ». Ce qui les a plutôt intéressés, c’est la part de fiction que l’auteur avait introduite dans ces œuvres, interrogeant ainsi, par la même occasion, la notion d’inspiration.
Allant plus loin encore, ils ont abordé les choix esthétiques du dramaturge, ainsi que la forme de son écriture, éloignée des normes génériques du théâtre.
Ils ont ainsi demandé, par exemple, pourquoi les textes ne comportaient pas toujours de personnages, de répliques faciles à délimiter. Ils ont remarqué que l’écriture s’apparentait davantage à des poèmes en vers libres qu’à des dialogues de théâtre conventionnels.
Nous étions alors, ma collègue et moi, devant ces deux écrivains et leurs auditeurs, plongées dans une conversation à proprement parler littéraire.
Évidemment, ce sont la modestie et la délicate authenticité de Michel Simonot qui ont permis aux élèves de poursuivre l’échange de manière aussi fructueuse, sans qu’ils se cantonnent à des interrogations de surface, ou pire encore – comme cela arrive parfois – à des postures caricaturales ou des stratégies de repli.
Mais comment ne pas, également, supposer que les premiers travaux d’écriture effectués avec Ismaël Jude, que le cadre ambitieux de la résidence, que la considération dont ils ont fait l’objet dans les étapes inaugurales du projet, les a autorisés à exprimer, et afficher devant les autres, leur intérêt pour une œuvre, pour un écrivain, pour la littérature, pour l’écriture… si loin, tellement loin, des défaillances et des complaisances qu’on leur prête.
La pertinence de leurs questions, leur écoute des réponses averties et ciselées de Michel Simonot, leur attention portée à son œuvre et à ses démarches, leur langage soigné, leur fierté enfin d’être à la hauteur de la confiance qui leur a été accordée ; voilà tout ce que nous ne sommes pas près d’oublier.
Un moment important, fondateur, qui les amènera ensuite, depuis ce mois de février, à produire des textes sans complexes ni entraves.
Dans l’atelier, l’établi de leur créativité.