Benoît Artige | Figures libres, Jules Verne
Par la fenêtre, il peut contempler la baie et, aujourd’hui, c’est à croire qu’aucunes autres couleurs n’existent que ces infinies nuances de gris superposées. De son regard d’encre, il trace sur ce désert de ciel et d’eau, que trame de biais une petite pluie méthodique, des cratères sans fond, des feux croisés, des planètes lointaines et des îles aux trésors. Les images jaillissent sans discontinuer et bientôt c’est le trop plein, ça se bouscule ; il ne sait plus où donner de la tête. Il devrait fermer les volets, les yeux ou changer son bureau de sens, face au mur, pour se mettre au travail — mais c’est qu’il travaille déjà. Soudain, il enfile son manteau, prend son chapeau et le voilà dehors, allant pensif et d’un pas rapide le long des quais ; malgré le mauvais temps, il se sent rasséréné — la matière à une nouvelle histoire est là, il n’a plus qu’à lui donner forme —, sifflote un air à la mode, pense au repas du soir. Encore une journée qui ne sera pas passée pour rien.