Benoît Artige | Figures libres, Jean-Paul Belmondo

Vue du haut des échafaudages où on l’a fait grimper pour sa cascade, Brasilia se résume à une vaste étendue sableuse à peine habitable, un mirage : de quoi soudain provoquer en lui, au-dessus du vide, une sorte d’étrange engourdissement et enrayer la machine – la machine, c’est-à-dire, ce corps que la caméra tente de suivre depuis des semaines, bolide lancé à toute vitesse à travers les routes cieux eaux du Brésil et dont la trajectoire semble à chaque instant être rejouée par des coups de dés du destin. Il a glissé, s’est rattrapé in extremis à une planche – il s’en est fallu de peu pour qu’il chute et s’écrase quelques dizaines de mètres plus bas : un éblouissement soudain aurait eu raison de son équilibre ? Mais une fois redescendu sain et sauf de son perchoir, il préfère, comme à son habitude, rire de ce que la mort l’a une nouvelle fois frôlé, plutôt que de jauger les risques inconsidérés qu’il prend : “et dire qu’à l’écran, il y en aura encore pour penser que c’est du chiqué !” Un petit chien vient lui faire la fête et le voilà qui repart aussitôt en trombe pour faire sautiller l’animal derrière une balle. Il bondit, virevolte, fait l’imbécile pour amuser la galerie comme s’il voulait éloigner la peur qu’ils ont tous eu, sauf lui ! – même hors-champ, il est à lui seul un film dont il ne faudrait retrancher de la pellicule aucune image : au milieu d’un désert ocre parsemé çà et là de folies en béton, le témoignage joyeux, en nœud papillon et complet blanc, de l’ivresse infini du mouvement.

12 avril 2024
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