Benoît Artige | Figures libres, Robert Mallet-Stevens
Marie-Laure faisait mine d’avoir les titres en horreur et exigeait qu’il l’appelât par son prénom ainsi qu’elle s’y employait avec tout le monde. Elle l’appelait donc Robert, mais, pour le taquiner et mettre en joie le cercle des intimes, lui susurrait à l’oreille : « vous êtes ma petite folie ». C’est ainsi qu’elle avait baptisé aussi cet étrange assemblage de cubes blancs qu’il avait dessiné pour elle en haut de la colline comme on jette des dés sur un tapis de jeu : la création et son créateur, dont elle s’était éprise plus que de raison, ne faisaient qu’un dans son esprit. Le vicomte appréciait peu les toquades artistiques de sa femme et battait froid l’architecte qui, piqué au vif par cette inimitié manifeste, lui avait réservé, dans la villa, la plus petite chambre dont la seule fenêtre en œil-de-bœuf donnait, en surplomb des cuisines, sur un talus sablonneux où frémissait, les jours de grand vent, une végétation erratique et rase. Heureusement, on vivait la plupart du temps au bord de la piscine et la proximité des corps dénudés, les cocktails forts et les amusements enfantins suscités inévitablement par la présence de l’eau créaient entre tous les membres de cette coterie qui ne cessaient de se jauger du coin de l’œil une sorte d’harmonie parfaite qui s’évanouissait aussitôt la lumière disparue et les portes sur eux refermées.