Cinquième atelier à la Maison de Balzac
2. UN DÉBUT DANS L’ÉCRITURE
1. COMPTE-RENDU
C’est la reprise ! On retrouve Pons et Schmucke, grâce à la lecture à voix haute que poursuivent les étudiants du Conservatoire, mais c’est pour quitter aussitôt nos deux héros : à ce stade du roman qui clôt l’exposition, Balzac s’autorise un long détour pour raconter l’histoire du flûtiste de l’orchestre, Wilhem Schwab, et de son grand ami subitement devenu riche, Fritz Brunner. Ce dernier et sa fortune toute fraîche sont indispensables à l’intrigue, puisque le cousin Pons amènera Fritz chez les Camusot dans l’espoir d’arranger son mariage avec Cécile - et qu’en résultera sa descente aux enfers.
Pour l’heure, Balzac raconte l’enfance malheureuse de Fritz, les années de débauche des deux amis, puis leur arrivée sans le sou à Paris et la petite vie qu’ils y ont menée jusqu’ici. N’étant pas porté par l’intrigue, puisque le lecteur lit cette histoire dans l’histoire comme une pure digression, le passage est particulièrement enlevé afin de maintenir l’attention ; il est joyeusement comique, regorgeant d’images bouffonnes, cocasses, dont l’une au moins est à vrai dire plutôt gonflée - si l’on ose écrire en l’occurrence, quand Balzac nous présente ainsi la méchante marâtre qui a gâché l’enfance de Fritz : « Cette hyène était d’autant plus furieuse contre ce chérubin (...) que, malgré des efforts dignes d’une locomotive, elle ne pouvait pas avoir d’enfant » !
Mais il y a plus fort, et l’on y insiste en s’appuyant sur le titre initialement donné au chapitre (Balzac a supprimé le découpage en chapitres munis de titres pour l’édition Furne, mais ils apparaissaient dans toutes les précédentes éditions) : « Un type allemand ». Le titre n’est pas du tout innocent, quand le lecteur s’attendrait, à ce point du roman, à connaître l’histoire de Schmucke, ce type allemand qui nous a été présenté, jusqu’ici, sans une seule précision biographique, et sans que l’on sache seulement ce qui l’a amené à Paris. On pourrait dire que, à l’insu du lecteur, l’histoire de Fritz se substitue à l’absence d’histoire de Schmucke : au bout de cette digression, le lecteur a « oublié » qu’il ne sait rien du personnage principal, et c’est cela qui permet à Balzac de préserver Schmucke de tout rapport aux contingences de la vie - d’en faire, au fond, un « type idéal » dans l’amitié, allemand ou pas. Fort d’une science qui confine à l’exactitude, Balzac anticipe les réactions du lecteur et travaille ce tour de passe-passe avec, pour le coup, une extrême finesse, multipliant les échos entre l’histoire des deux amis principaux et celle des deux amis secondaires, repassant même au sujet de ces derniers par la fable de La Fontaine « Les deux amis » donnée comme exemplaire de l’histoire de Pons et Schmucke au tout début du roman : comme on enfoncerait le clou.
2. TRANSPOSITION
Dans nos questions concernant la transposition du roman, ce passage implique de préciser l’origine de Schmucke : s’il est bien québécois, Fritz et Wilhem doivent l’être aussi, de manière que l’on puisse envisager de titrer le passage « Un type québécois ». Cela semble en l’occurrence d’autant mieux convenir que le Québec des années 60, avant le « réveil » indépendantiste, est propice au récit d’une enfance malheureuse, pour tout dire un peu arriérée au fond des provinces catholiques.
Cela nous entraîne à disserter sur la question du nom - plus encore après avoir appris que « Schmucke » est en allemand un signifiant très signifiant : il désigne un « bijou ». Cette question des noms est ouverte également pour les autres personnages, à l’exception évidente de Pons. Les Camusot, les Popinot garderont-ils leur patronyme ?
3. UN DÉBUT DANS L’ÉCRITURE
Alors que l’écriture a avancé, mais que le début n’est pas encore prêt à être lu, la fin de l’atelier est l’occasion de revenir, en lecture silencieuse cette fois, sur les toutes premières pages. Chacun lit puis exprime ce qui lui semble saillant ou déterminant.
Dès le premier paragraphe, la matière est dense. Certes, Balzac installe aux premières lignes une scène de théâtre, et l’on peut même dire que Paris devient un gigantesque théâtre (« ... dans le million d’acteurs qui composent la grande troupe de Paris ... »). Mais il y a plus. Alors que le Cousin Pons vise à élever l’amitié au rang de mythe, la dernière phrase de ce premier paragraphe fait référence par contraste à une amitié ordinaire et déçue, associée ici à un terme que l’on rencontre plus souvent dans le contexte amoureux, celui de trahison ; surtout, deux expressions littéralement essentielles caractérisent Pons dès la quatrième ligne : le personnage dont on sait seulement qu’il a la soixantaine surgit « le nez à la piste, les lèvres papelardes ». Tout Pons est déjà là : le chasseur de trésors artistiques, et le gourmand, un gourmand d’une grande faiblesse, sinon, parfois, d’une grande lâcheté, qui au bout du compte laissera au seul Schmucke le beau rôle de l’ami idéal, quand le mot « papelard », rappelons-le, fut un substantif avant d’être un adjectif pour désigner un « faux dévot »... Ajoutons encore que la chute de cette première phrase place d’emblée le roman sous le signe de la libido qui en est l’un des principaux sujets (on renverra quant à l’importance de cette dernière à l’intervention donnée en février par José-Luis Diaz), puisqu’on découvre Pons allant sur le boulevard des Italiens « comme un garçon content de lui-même au sortir d’un boudoir. »
Verve et densité du tissage : la barre est haute ! Ou de la nécessité d’un début rudement maîtrisé... On en reparle la semaine prochaine, en espérant des renforts : l’atelier gagnerait à accueillir deux ou trois nouveaux participants...
Prochain atelier le lundi 12 mars, de 13 h à 14h30 ; l’inscription se fait auprès du service réservation de la Maison de Balzac : 01.55.74.41.80.
Rendez-vous aussi le 24 mars pour une rencontre avec Pierre Rosenberg.