Daniel Pozner | Une vie de Samuel Beckett
Daniel Pozner a publié Quelques portraits avec pinces à linge (éd. Æncrages & Co, 2004) ainsi que des textes dans de nombreuses revues : Java, Nioques, Le Nouveau Recueil, Passage d’encres, Petite, Po&sie, La Polygraphe, Siècle 21, Hapax, BoXon, Passages à l’act, Ouste. Et prochainement dans Action poétique et Le Quartanier.
Ses textes figurent dans l’anthologie Autres territoires (Farrago, 2003), dans L’inventaire des choses (éd. Action poétique, 2007) et dans l’anthologie de la 9e Biennale internationale des poètes.
Sur le Net :
Le géographe est ailleurs
Variable aléatoire : extrait 1
et extrait 2
À lurelure (extrait paru dans la revue Java), présentation et lecture vidéo sur le site de la Biennale des poètes.
Dès le début les sensibilités irlandaises tolèrent mal ses petits complets étriqués
Encore plus mal son béret basque
Il ne laisse ignorer à personne qu’il trouve Dublin assommant et provincial
À partir de décembre Sam souffre de maux physiques de furoncles persistants et mal placés il est continuellement enrhumé
Il porte des pantalons maculés une chemise et un pull-over crasseux un vieil imperméable (qui hantera ses œuvres) et des souliers éculés
Il revient à Paris chaque fois qu’il en a les moyens
Dernier hiver passé à Dublin le plonge dans un cafard noir
Rideaux baissés couvertures tirées
Réunit assez d’argent et de courage pour se rendre à Paris
Sam revient à Paris fin janvier
Sans ressources et presque totalement inconnu
Dépourvu de carte de séjour
Il se cache
Sans un sou d’abord à Londres puis en Irlande
Manque le prix du concours de la meilleure nouvelle de l’année
Il paraît condamné à rester à Dublin
Ses parents veulent l’obliger à trouver rapidement une situation
Un petit atelier au dernier étage de l’entreprise familiale à Dublin
Lui éviter de traîner inoccupé toute la journée dans la maison
Il prend l’habitude de découcher quand il a trop bu et raté le dernier train
Beckett a très peu d’amis
Hirsute
D’un bout à l’autre de Dublin ou à la campagne par monts et par vaux
Les gens de Dublin le tiennent pour « un peu cinglé »
Rêvant
Des heures entières le regard fixe devant son verre de whisky
Londres
Il prend l’habitude en écrivant d’utiliser le français pour les passages scatologiques
Depuis...
Découvre un Dublin aux rues tortueuses inconnu de lui
Un désir qu’il croyait tari
Lumières de Dublin l’enchantent
Contraste
Contradictions
Qu’il ne retrouve nulle part ailleurs
Sans fin dans les rues de la ville
Il lit beaucoup
Lors de ses séjours à Dublin
Il a un kyste au cou un autre à l’anus
Convaincu de sa totale impuissance à écrire
Ses journées dans l’hébétude et le reste du temps il va nager
Manœuvrent leurs cerfs-volants
Il croit même pouvoir venir s’installer définitivement à Dublin n’importe où sauf à Dublin
De fait à peine est-il arrivé à Dublin qu’il s’alite
Beckett ressort son vieil imperméable dissimule ses livres dans ses poches et va les vendre pour boire
Beckett étant déjà installé à Paris
Il recommence à envisager la possibilité de vivre complètement à Dublin
En arrivant à Paris au cours de la dernière semaine d’octobre Sam cherche à se loger à Montparnasse
Mais dès le début novembre il est obligé de retourner à Dublin pour témoigner à un procès en diffamation
La mauvaise réputation de Sam ôte toute valeur à son témoignage
Beckett peut enfin retourner à Paris qui est pour lui synonyme d’intelligence d’ouverture d’esprit et d’indépendance
Il reconnaît en lui son propre manque d’énergie et de volonté il est ivre tous les jours
Il commence à écrire en français des poèmes
Un poète irlandais frappé d’un coup de couteau à Paris au petit matin
Il jouit des paysages irlandais il rentre à Paris où il se sent de plus en plus chez lui
Déclaration de guerre le surprend
Famille tente de le retenir mais il ne songe qu’aux amis qu’il a laissés à Paris
Couchant à la belle étoile pour échapper aux rafles
Il joue le rôle de boîte aux lettres il utilise la microphotographie
La nourriture le vin les cigarettes trouver de la mort-aux-rats Saint-Lô est infesté par ces rongeurs
Il est en transe il dort le jour et écrit la nuit quand il a fini d’écrire il rôde dans les rues à la recherche du dernier café ouvert
Il retrouve difficilement la France qu’il a connue et aimée avant-guerre
L’automne à Paris est magnifique
On fume on joue aux machines à sous
Part pour l’Irlande en emportant le manuscrit
Il revient à Paris sans apporter le moindre souvenir
Le Dôme la Coupole la Rotonde la Closerie des Lilas
Ouverts toute la nuit
La version anglaise de Godot est jouée à Dublin (octobre)
La salle se vide avant la fin la critique est horrifiée
Il en résulte de mémorables beuveries à Montparnasse