Dératés entre les lignes de la conjugaison
Les éditions Unes seront présentes au Marché de la poésie, stand 523, place Saint-Sulpice, du 10 au 14 juin.
Écouter Caroline Sagot Duvauroux lire un extrait de ’j.
Caroline Sagot Duvauroux sur remue.
Les personnes de la conjugaison ne sont pas à jamais en accord avec les verbes, ni avec notre existence et nos discours d’êtres parlants. Il arrive qu’elles fassent défaut, fuient aux quatre coins de la phrase, transfèrent leurs modalités vers d’autres lignes, à la recherche, peut-être, de nouvelles formes viables. Je découvre que ses certitudes de première personne ont pris fin, il fait vibrer la place où il se tient et, de l’extrémité vive de son apostrophe, part tâter d’autres rivages. Tu erre, désorienté, entre le je et le il, le elle, se souvenant des déclinaisons anciennes, des conjugaisons qui ont passé. Il, elle, enchevêtrés entre mettre un terme aux conventions et désir de survivre, récoltent quelquefois la mise.
Les personnes ne nous sont données à conjuguer que dans un temps imparti, même si chacun les croit définitivement acquises y compris dans la fusion des circonstances.
Le verbe tremble sous le coup d’une disparition, elles aussi disparaissent.
Ce sont les hoquets discrets de cette traversée à voix haute — que provoque l’écart entre la personne et la forme verbale qui la suit mais va son propre chemin — dont ’j donne l’expérience avec étonnement, honnêteté, attention.
En voici une page :
L’absence peut-elle ce que la présence récolte à la syntaxe ?
Tu, ne sera jamais dit je. Jamais !
Tu oriente, je va. Tu est un nom je n’est qu’un verbe. Tu implique je qui n’implique pas tu. Tu est un nom, je nomme. Je est un pronom que tu prénomma. Je t’ai nommé tu. Tu ne m’as pas nommée je. Tu est le lieu que je légenderait en disparaissant. En tu j’appareille, en je tu échoue
Racontait-il
Tu est le nom de ta mère et de mon fils. Je n’est rien sans naître. Tu existe, je naît
Racontait-il
Car je transite jusqu’à tu. Dans la transitivité inversée de tu m’existe d’exister
J’éclate l’orage mais tu tombes la foudre
[1] Vient également de paraître, aux éditions Unes, Manhattan. Espace buccal de Thomas Kling, traduit de l’allemand par Aurélien Galateau, présentation de François Heusbourg.