Dernière citadine

XXV


Les images des Fictions beyrouthines de L. ont été faites à Bruxelles.
Et si C. a déambulé dans les rues de Beyrouth, c’est à La Roche qu’elle a écrit. Le net a fait le reste.

Le 8 août 2011, rue de Villers à Bruxelles, elles ont parlé d’Eugène Savitzkaya et de Christine Angot. Il y avait de la bière Vedette sur la table et plus loin un puma empaillé.

Comment se tenir dans la fiction ? dit C.

Il y avait aussi trois grenouilles et deux chats nommés Raoul et Colette, une photographie d’Eugène Savitzkaya, une ribambelle de sculptures, os et cellophane, « corps chat, corps Saint Laurent ». L. mesure au millimètre près tout ce qui se passe, envoie un message sur son téléphone.
C. relit ce qu’elle a écrit ce matin.

Comment se tenir dans la douceur sur Twitter ? dit L.

Il pleut sur Bruxelles.

Il faut du temps, dix ans sans emballer, et les reproches, une espèce de migraine. dit L.

L. et C. vont au cinéma Arenberg où on passe un film italien dont l’héroïne est une femme soumise. L’œuvre centrale se nourrit de tout ce qui se passe. Sur l’écran, un homme parle de ses fleurs. On oublie les églises et les châteaux.

Comment se tenir dans la Galerie du Roi habillée d’un manteau vert et d’une jupe rouge quand les touristes sont en gris ? dit C.

Les cloches d’une église proche, mais laquelle ? sonnent. Plus tard, elles boivent de la bière avec David et Mathilde. Ils se sont connus sur le net il y a cinq ans. Ils avaient 13 ans. Ils se sont retrouvés ce matin pour la première fois à la gare Centrale. Ils rient comme des enfants. C’est une histoire en direct.

L. fait des photos des murs de brique parce que C. voudrait les emporter toutes, les avoir sous les yeux pour toujours, leurs rouges et noirs et ocre jamais pareils, tous les dessins, les fêlures, les cassures, les joints mal finis, et surtout le chaud du feu qu’elles ont connu.
Les enfants s’en retournent à leurs écrans et C. lève la tête en marchant pour regarder les façades et se faire à nouveau le choc de la première arrivée sur la Grand Place. Elle se dit qu’internet n’a rien changé à sa vie.

Dans une trouée de soleil, elles s’arrêtent à La mort subite et C. boit la bière qu’elle préfère. Plus tard, elle va seule au-delà de la porte de Namur se perdre dans le quartier d’Ixelles où elle se sent bien. Plus tard encore, L. se penche vers une très vieille femme et lui tend un verre de whisky.

Les fictions beyrouthines s’achèvent à Bruxelles. Elles iront rejoindre un livre et un site. Le train s’ébranle et s’arrache de la gare du Midi, vieille bête de somme.

Comment tenir en ses mains son propre ouvrage en chantier ? se disent L. et C.

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1er septembre 2011
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