Julia Lepère | N’importe qui est toi

Julia Lepère, née en 1987, écrit de la poésie et des récits, parallèlement à une activité théâtrale de jeu et de mise en scène. Elle vient d’achever l’écriture du recueil Esprit-de-Sel, et travaille actuellement à la création d’une revue de poésie : Territoires Sauriens, avec Fanny Garin.


 

Je repense
Seul le silence m’entourait
Je m’ai noyée, je reprends je me suis
Avec la poussière j’aimais jouer
Entre les pierres des statues, il me semble
Que cela commençait

Tu durcis ton ombre
De trois figures de pierre

Tu entends le vacarme
Dans la forêt t’étouffent fougères pousses
Yeux animaux
La vie t’échappe
Tes mains jouent dans la poussière pour
Saisir avant que tombe
Jusqu’à la pluie
Ta déroute de mots



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Tu repenses
Il faudrait s’échouer au silence
Couvrir comme tes ancêtres amour enfant
Leurs cheveux cendres
Ne pas penser que les trains ôtent, penser
A l’outremer de ton regard
Juste au bord du bleu

Tu voulais arriver aux corps mort des marais
Dans la tête un soleil cou coupé des mots volés

Tu reprends

Devant toi
Le soleil comble la mer,
se coupant

Tu penses aux corps morts …“un corbeau marin passe
Tu lui demandes si la mer tue comme les marais



**

Tu repenses
Je m’ai noyée j’ai peur de tout
Je pensais à un homme dans un train un bout de pain
Rendu appartenu, un homme où respirer
Rétablit le rivage

Maintenant il

Comble le silence en écartant tes bras
Ton corps échappé d’eau
Il te rappelle quelqu’un
A cause du soleil aveugle

D’un polaroid enfant blond



**

Tu repenses
En dessous il y avait
La peau coupée son odeur souple
À l’odeur des marais, et puis
Cerner mon corps hors
Du lieu forêt

Tu erres, ta présence semble fragile
A l’homme gorgé d’eau

Tu voudrais que les ombres reviennent



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Tu repenses
Si une grille imaginaire s’ouvrait
Si la maison de pierre contenait d’autres maisons
Je ne pèserais plus de mon poids
Je reconstruis, je suis nouvellement

Ton amour s’écarte de toi, et quand tu dis amour
Tu veux ne pas penser peau au soleil coupée
Tu tuméfies des lambeaux d’union
Comme poésie voudrait

A présent
Personne de toi ne se détache



**

Tu repenses
J’ai dans la tête des polaroids, j’agite
Je regarde l’image s’inventer par le vent
Du large ponton je crie vers un enfant blond

Tu pensais partir d’où quelque part
Qui ne serait pas la vie
Tu ne savais pas comment
Un souvenir d’ailes t’élance parfois
Tu deviens un large ponton



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Tu repenses
Si je cherchais peut-être était-ce
Une chose impossible, enfouie
Dans la mer qui ne déterre rien

Tu pensais respirer sous l’eau, ton corps
Où les poissons mordaient
Sur le rivage le nouvel homme le mord aussi
Et le bruit de succion rappelle
Mais ta peau s’endolore autrement



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Tu repenses
Est-il possible que quelque chose résiste à vivre
Qu’au fond du noyau dur du sens, je dis âme-amour,
Un mot pour que je m’entende appeler

Tu te reprends, serait-il possible que quelque chose résiste
A mourir



**

Tu repenses
Aux animaux qu’on abat
J’aurais pu voir dans les yeux d’un animal
Le vacarme tenu lieu de forêt
Je tisse des fils de pitié sans comprendre qu’ils me mènent
A un cri noyau dur du sens,
Dernier appel, amour-âme un mot

N’importe qui toi animal aux plages décalquant
Ton image et rugissement
Feulement
Hurlement
De plus loin tu te tiens et la mer ne t’a jamais paru
Si indifférente si
Terrée dans son cri



**

Tu repenses
Tout a commencé je m’ai me suis noyée
Contre une porte moi
Je suis pleine de mots de gens de champ pourtant
Je n’ai vu aucun champ de bataille
Dit-on encore champ de bataille

Un bateau ça dépend
La poésie te traverse par syllabes
Ne parler de la peau quand elle est fil sur la lisière du corps

Sous tes yeux les pontons
Ont les leurs menant
D’autres trajets

Langueur commune



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28 juillet 2015
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