L’Héritage, un livre de nouvelles de Fritz Werf

Les éditions Apogée viennent de publier L ‘Héritage, un livre de nouvelles de Fritz Werf traduites de l’allemand par Michel Wallon.
La nouvelle « Ail et scalpel » est téléchargeable sur le site en fichier PDF.

De Fritz Werf ont été traduits en français par Pierre Garnier En ces pays d’universelle usure pour les éditions Corps Puce ainsi que Un bonheur inquiet paru à la Maison de la poésie Nord-Pas-de-Calais.

Fritz Werf est également l’animateur des éditions allemandes AVA.


La nouvelle « Double meurtre » est composée de deux scènes séparées par « un court noir » : un travelling qui montre une rue, s’arrête devant la façade d’un immeuble, entre dans une pièce dont la caméra filme le décor, un homme et une femme assis dans des fauteuils, la séquence d’un vieux film qu’ils regardent à la télévision : un homme étranglant une femme avant de se trancher la carotide//court noir//un plan extérieur de la rue qui se rapproche peu à peu de l’immeuble où la scène précédente nous a fait entrer : deux cercueils en sortent, sans doute ceux de l’homme et de la femme qui, dans la pièce, regardaient le double meurtre télévisuel. C’est court (quatre pages), écrit comme un synopsis. L’hypothétique double meurtre réel (réel dans la représentation littéraire) n’est pas raconté, s’il a été commis c’est pendant le « court noir ».

Tel est le principe de chacune de ces histoires : laisser déduire ou deviner, sans le montrer, ce qui s’est déroulé dans un espace délimité par la forme de ses bords – tel un objet dessiné au ciseau dans une feuille de papier et dont Fritz Werf ne décrirait que le contour, ce que d’autres mains rejettent.

Voici le début de « Double meurtre » :

L’action se déroule comme un court-métrage muet, sans son ni bruitage. Le plan initial montre une rue peu animée, située dans une cité-dortoir d’une grande ville, filmée en grand-angle en fin de soirée. La caméra glisse lentement sur les façades des immeubles de béton. Toutes les persiennes sont si hermétiquement fermées qu’elles ne laissent pas filtrer la plus pâle lueur.
Brusquement, la caméra s’arrête sur l’un de ces immeubles énormes et uniformes. Zoom sur une fenêtre d’un étage élevé, qui apparaît maintenant en gros plan. Rapide fondu-enchaîné. La caméra pénètre dans une salle de séjour, la montre dans sa totalité, mais avec beaucoup de recul. Les meubles et les personnes – un couple profondément enfoncé dans des fauteuils – donnent l’impression d’être déformés. Ce plan dure un certain temps.
Quand il a atteint la limite au-delà de laquelle il serait lassant, la caméra balaie les murs de droite à gauche : au-dessus de la porte, une petite croix avec un rameau de buis, des photos de famille accrochées bien comme il faut, un tapis mural aux couleurs criardes et aux foisonnants motifs floraux, qui se différencie à peine du papier peint, orné lui aussi de fleurs. Les Mains jointes de Dürer dans une reproduction en bois fabriquée en série, une imposante et resplendissante armoire à vitrine, remplie de verres et de bibelots de toutes sortes, le coin repas comme on en voit sur les catalogues, un pompeux bouquet de fleurs posé sur une nappe tombant jusqu’au sol. Survolant de longs et minces tapis aux motifs voyants, la caméra s’approche de la partie salon et glisse lentement vers les fauteuils du dossier desquels dépasse, raide, la tête des deux personnes.
Dès que les têtes sont prises par-derrière en plan rapproché, l’angle de vue se resserre, les deux têtes s’écartent et vont se placer aux deux extrémités de l’image. Entre elles, à hauteur d’épaules, apparaît l’écran de télévision que le couple regarde fixement. […]

28 novembre 2009
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