L’écriture des signes de Laurence Nobécourt

La vie spirituelle de Laurence Nobécourt vient de paraître aux éditions Grasset.


 

« Ne t’inquiète pas de ce qui s’est passé
Ne te soucie pas de ce qui t’attend »

Ces deux phrases d’une poète japonaise contemporaine pourraient être l’exergue ou l’abstract du nouveau récit de Laurence Nobécourt, La vie spirituelle.
Creusant livre après livre son chemin d’écrivaine et de femme, elle part au Japon. Plus exactement, le Japon lui fait signe. C’est sous cette écriture des signes qu’il faut lire Laurence Nobécourt.

Une dizaine d’années auparavant, se rebellant contre le système qui sépare les genres poétique et romanesque, elle s’est inventé un double, Yazuki, nom sous lequel elle s’autorise enfin à écrire de la poésie. « Yazuki est un autre soi. Un soi secret, vers lequel on tend. Une forme d’absolu et cependant Yazuki demeure imparfait. Il croyait au pouvoir de la littérature. »
Elle veut écrire le roman de ce poète secret, un roman d’amour. Car la narratrice aime l’amour. Cet amour qui transpire dans chacun de ses livres. Cet amour charnel auquel le monde spirituel ne s’oppose pas. Elle veut écrire le roman de Yazuki et de Haru. « Yazuki n’a rien épargné à Haru. Il l’aimait assez pour cela : ne la consoler de rien. »
Est-elle Yazuki ou Haru ? Les deux. Les écrivains sont toutes les figures qu’ils inventent pour creuser la complexité d’être vivant. Les écrivains sont aussi les paysages, les voyages, les pays réels et imaginaires qu’ils traversent. Les écrivains avancent, masqués ou non, dans un pays légendaire qui s’appelle littérature.

Plusieurs livres de Laurence Nobécourt s’apparentent à des fables, des contes. On y fait un parcours initiatique constellé d’épreuves grâce auxquelles on grandit. C’était le cas de En nous la vie des morts, La clôture des merveilles ou encore le précédent, Lorette, qui partait à la rencontre de la reconnaissance de soi. On y lisait ceci : « Écrire, c’est exister dans la disparition. »
Disparition et apparition sont les deux figures de La vie spirituelle. Alors que Laurence Nobécourt part au Japon chercher les lieux où Yazuki a aimé Haru, elle apprend une nouvelle incroyable : le poète Yazuki existe. Ici je n’en dirai pas davantage, car la découverte est encore plus merveilleuse.

Une correspondance secrète a souvent lieu entre ce que nous rêvons, ce que nous vivons et ce que nous écrivons. Parfois invisible, souterraine, parfois révélée, quitte à être aveuglante.
Laurence Nobécourt est éblouie, mais lucide, déjà très avancée dans son voyage intérieur, et Yazuki est « une sorte de double, un ange qui veille sur la partie vivante de son âme ». Si je ne sais pas exactement ce qu’est une âme, si je ne crois pas en Dieu, je sais que tout-e artiste est double et que le mystère de ce qu’on écrit est plus vrai et plus grand que ce que l’on pense écrire, ou encore peindre ou composer.
Le roman d’amour initial se fragmente, s’échappe. Mais ne disparaît pas. « Un livre écrit sur les ruines de tous les romans qu’il aurait pu être, à l’épicentre de ta vie », lui dit Yazuki.

Aux prises avec ses démons — les mêmes pour nous tous, l’amour, la vie, la mort, la peur —, la narratrice va à Kyoto, Tokyo, Koya, Naoshima, Sikanoïé où se trouve la cabane des poètes, et enfin Hiroshima, lieu ultime d’un voyage où les signes se multiplient, mort et renaissance.
Seule, elle aura erré dans les jardins, dans les temples, ou bien, roulée en boule, tel un chat dans une maison japonaise, vide et glacée, elle aura attendu l’éveil, le printemps. « En France les amandiers ont fleuri dès le mois de février. À Kyoto, les bourrasques de neige ont duré jusqu’à la mi-mars. Le printemps finit toujours par arriver. "Nous ne sommes le but de personne, personne n’est notre but. »

Dans le printemps japonais, la fiction vole en éclats. Quelle fiction pourrait contenir la seule vérité qui brûle le corps et les mots de l’écrivain, trouver comment continuer. Continuer à vivre et à écrire. À l’endroit juste, l’endroit que Yazuki a démasqué. L’endroit du roman vrai.

26 avril 2017
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