Les Étoiles d’Arcadie

Acte I
Scène 1

Une barque sur la Méditerranée, les rivages d’Arcadie.
Les contrebandiers, les exilés, les filles vendues passent au large sur des bateaux.

 

Florian
Voici la patrie, la beauté. Je n’ai qu’à fermer les yeux.

Orémus
Tu regretteras ton exil, l’exil aussi est une patrie.

Florian
Non, l’exil n’est pas une patrie, la patrie c’est l’instant, c’est l’instant qui vient toujours, toujours neuf.

Orémus
Est-ce le poète ou le roi qui parle ?

Florian
Celui qui aime l’avenir parle.
La douleur n’est rien, elle ne porte pas la parole, c’est la terre qui porte. Le ciel, c’est un peu de bleu peint pour tromper les pauvres. La terre et l’instant, c’est assez d’encens pour le retour d’Ulysse.

Orémus
Voici l’Arcadie de tes ancêtres. Ton arrière-grand-père, dernier tenant de la couronne a été exilé il y a tout juste cent ans, il n’était lui-même qu’un enfant. Sur la grand-place son effigie de marbre noir arborant le cygne héraldique a été mise à bas. La silhouette pensive du père des peuples a pris sa place. Et plus tard, quand le monde communiste s’est écroulé, un général d’opérette s’est improvisé dictateur pour donner corps à un nationalisme repeint à neuf. Voilà où nous en sommes.

Florian
Et moi je suis ce roi poète qui revient dans la patrie. Ce ne sont pas les étoiles que je veux.

Orémus
Moi non plus je n’aime pas les étoiles.

Florian
Mais les feux ! Les grands feux !

Orémus
Tu parles de grands feux parce que ton destin est grand. Ta providence est parfumée sans doute, Florian, tu portes un nom de fleur et tu es roi. Moi une lampe me suffit.

Florian
Quel homme peut dire une lampe me suffit ?

Orémus
Je suis cet homme.

Florian
Donc tu es parfait, Orémus. Tu ne cherches pas à te venger des étoiles, et sur terre tu as ta place toute trouvée et c’est toi qui éteins et allumes une lampe.
Une solitude exemplaire.

Orémus
Mais toi qui as pour destin d’être roi, c’est tout un royaume qu’il faut éclairer et il te faut le feu.

Florian
Et c’est ta lampe qui m’en donnera le germe.
Je ne connais l’Arcadie que par les récits légendaires de mon grand-père, elle n’est plus que dans mes rêves d’enfant cette Arcadie éternelle. Sans doute je suis le roi puisque je suis celui qui se souvient de la patrie comme d’une fable.

Orémus
Et comment la rêves-tu ?

Florian
Une orangeraie qui donne la fièvre. C’est la Méditerranée éternelle qui trouve sur ses collines l’ombre nécessaire à son poème. Je suppose que les Arcadiens savent mourir, la lumière est si pure dans ce jardin immobile. J’ai nostalgie de ce monde où l’on savait mourir. La danse, c’est ce que disait mon grand-père, est une manière de dire l’affirmation suprême. Les dieux se sont cassé les dents en croquant ce fruit. Les ombrages des vergers couvent des promesses qui font pleurer, les garçons sont beaux, les filles sont éloquentes. Le monde ici est confiant de ce qu’il sera, l’éternité n’est qu’une odeur de fleur d’oranger et je veux à mon poème un peuple de rebelles. Pourquoi parler encore d’étoiles et de métaphysique, il y a la mer éternellement scintillante que l’on voit percer la treille des vergers...

Orémus
Florian, c’est beau que l’on t’ait donné ce nom. Mais les orangers ont été coupés à la révolution. Le pays vit principalement d’usines à papier, c’est une odeur de chou qui recouvre les villes neuves. La plupart des jeunes filles ont été vendues à la prostitution. Les garçons ne savent plus se battre que pour l’achat de voitures d’occasion. Le fleuve est asséché, l’ordure encombre les campagnes, l’ordure encombre les cœurs.

Florian
Alors si c’est aussi impeccablement désespéré que tu dis, c’est plus beau qu’un verger !
Une étoile vient vers nous, ce que je croyais une étoile, plus lourde et plus rouge juste au-dessus de l’horizon. Mais, c’est un fanal, c’est une barque.

Orémus
Dans ces eaux, les contrebandiers, les femmes esclaves vendues à l’occident, les dissidents exilés, les épaves de toutes les révolutions...

Florian
Et un roi clandestin !

Orémus
Et un pauvre insurgé !

Chanson du Paradis perdu

Âme blessée et cœur en berne
En suivant ton sang répandu
En suivant la vieille lanterne
Rejoins le paradis perdu
En dessous de la lampe rouge
Voilà la promesse entendue
Qui te chante aux portes des bouges
Rejoins le paradis perdu
Trouve la femme qui console
Caresse son corps étendu
En écoutant cette parole
Rejoins le paradis perdu
Regarde la nuit qui s’achève
Dans la joie du plaisir vendu
En te berçant de ce beau rêve
Rejoins le paradis perdu.
Avec les pauvres miséreux
Les autres clients assidus
En rêvant d’un pays heureux
Rejoins le paradis perdu
À la lampe d’une ruelle
On te retrouvera pendu
Mais en te brûlant la cervelle
Rejoins le paradis perdu
Le paradis perdu
Le paradis perdu

1er mai 2004
T T+