Les éditions l’Arachnéen, Deligny, les lignes d’erre et Janmari


Les éditions L’Arachnéen imposent depuis leur création une ligne éditoriale aussi exigeante que hors norme. En 2007, elle s’impose par un geste éditorial important et imposant. En éditant les Œuvres de Fernand Deligny, L’Arachnéen trace une ligne précieuse, celle qui donne son titre à la présentation du volume par Sandra Alvarez de Toledo, « L’inactualité de Fernand Deligny ». Engagé dans les marges de la pédagogie et de la psychanalyse (notamment autour de l’autisme), Deligny ouvre une expérience inédite, en discussion permanente. Il accompagne et pense la folie (la grande cordée ou la Borde pour ne citer que les plus connus). Il invente des espaces sans imposer une doctrine. L’homme et l’œuvre sont complexes. Ils prennent des formes variées (écriture, revues, films, photographie, dessin). J’avais évoqué il y a quelques temps le film Le Moindre geste.


Au printemps 2013, les éditions L’Arachnéen ont publié trois volumes importants : Le Mur de Lisa Pomnenka d’Otto B. Kraus dont on a publié des extraits ici et ici. On signale une rencontre le 3 juillet 2013 au CNL autour de ce livre de Kraus avec Catherine Coquio, Georges-Arthur Goldschmidt, Pierre Pachet et Annette Wieviorka.

Deux autres volumes méritent toute l’attention : Cartes et lignes d’erre. Traces du réseau de Fernand Deligny, 1969-1979 et Journal de Janmari.




Les Cartes et lignes d’erre prolongent et accompagnent le travail éditorial autour de Deligny. Donner une parole, un langage, accompagner les dispositifs linguistiques et comportementaux de ceux qu’on ne regarde plus comme appartenant au langage. Il s’agit d’inventer des traces, au double sens de l’invention c’est-à-dire à la fois trouver ce qui est enfoui et construire ce qui n’existait pas. Les Cartes et lignes d’erre donnent littéralement à voir ces inventions. Ecrire l’espace, le trajet, le déplacement est donc une manière de s’inscrire dans l’espace et d’inventer un espace commun, de rapprocher les mondes. Deligny donne un langage plastique au mutisme et nous permet de saisir l’épaisseur et la fragilité d’une trajectoire. Ces cartes sont donc les transcriptions des gestes et des trajectoires des jeunes encadrés par les éducateurs, les accompagnants. C’est bien un espace d’écriture hors du commun qu’offrent les éditions L’Arachnéen.
Le volume bilingue accompagne chaque dessin d’une présentation qui contextualise de manière précise la situation dans laquelle le dessin a été réalisé. L’ensemble est une expérience intense, d’une beauté plastique saisissante.











La première photo dans les Œuvres de Fernand Deligny est celle de Janmari, enfant en 1969 (p.20). Grand mutique, Janmari meurt en 2002. Durant la dernière année de sa vie, Gisèle Durand a accompagné Janmari dans des séances d’écriture, des gestes scripturaux à la marge du commun. Comme pour les Cartes et lignes d’erre, l’édition du Journal de Janmari est particulièrement soignée, claire, les reproductions sont d’une qualité tout à fait exceptionnelle. Le Journal de Janmari est une exploration graphique intense faite de petites vagues et de cercles accumulés au crayon ou au stylo. De pages en pages, on est aspiré par un monde inconnu qui s’impose par sa profondeur. La lecture est ici une expérience radicale et troublante qui ne laisse pas indemne. Faire face à l’inconnu et à l’altérité qui n’est pourtant pas étrangère.







28 juin 2013
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