Limite
« On va vers ce qui s’en va », Antoine Emaz
« ce ne sont pas les mots qui manquent
ils sont là comme des bulles
pétillent
dans la lumière de septembre
presque joueurs
sans avant ni après libres
presque »
C’est à une « graphie de vie plus ou moins vide selon les jours parfois seulement meublés par l’attente » qu’Antoine Emaz décide de recourir. Pour dire, pour tenir. Pour graver la fatigue, la peur, les regrets (de devoir peut-être tout laisser en plan), la tristesse, la monotonie des jours et la lenteur des nuits à même la page. En employant des mots brefs, effilés, affûtés. En une écriture sèche, tranchante.
« s’habituer à la fin
une vie retourne à la vie
quoi craindre
même si ça crie »
Il y a une lutte sourde, intérieure, qui se dévoile à peine, ne s’autorise que de simples questionnements, souvent sans réponses, tournant autour du moment présent et de sa précarité tout en restant attentif à ces petits riens, en d’autres temps anodins, qui soudain rattachent à la vie et donnent un certain relief au quotidien.
« dans ces moments
la poésie peut passer par
une brise qui bouge l’herbe
un soleil pâle
une main tendue
on entend le bruit d’une machine à laver
le tic-tac d’un réveil
comme de l’encore vivant »
On ne détecte pas la moindre plainte. Tout au long du livre domine une grande pudeur. Dictée par une extrême retenue. Le recours aux mots est essentiel. Non pas pour filtrer le mal, l’intrus, l’empêcheur de vivre normalement mais pour donner corps à ce qui continue d’exister, de penser, de réfléchir, de créer et de s’ouvrir. Consciemment, ou pas, de nombreuses métaphores marines parsèment l’ensemble.
« on voudrait tenir encore la barre
la barque est déjà partie
sa voile est noire ou blanche »
ou encore
« dans le roulis de l’air
pesant de nuit
une épave bois flotté
qui se défait dérive dans l’eau verte »
Ailleurs, le corps s’en va, tel un radeau, sous « la coque renversé du ciel ». Celui-ci est également souvent sollicité. Pour son bleu intense qui peut aspirer et initier à l’apesanteur.
Antoine Emaz n’avait pas publié de poèmes depuis la parution de Plaie (éditions Tarabuste) en 2010. Ceux-ci, graves et saisissants, vont de l’été 2013 à l’été 2015, dernière période durant laquelle semble pointer un léger apaisement
Antoine Emaz : Limite, éditions Tarabuste.