Noms de plats : le nom

L’extrait du journal d’Edmond et Jules de Goncourt que j’ai posté l’autre jour, c’était un peu pour rigoler. Mais ce système de « décrire un plat plutôt que de l’appeler par son nom » me paraît fort intéressant, aussi. Alors qu’ils avaient apparemment un moyen de communiquer avec ces japonais, ne pas leur avoir demandé les noms des plats, ou en tous cas ne pas les avoir retranscrits dans leur journal, peut signifier plusieurs choses :

1) ils n’attachaient aucune importance aux noms de ces plats
2) ils n’imaginaient pas avoir une seconde occasion de manger de ces plats (car il ne vaut pas la peine de retenir le nom d’une personne qu’on sait qu’on ne reverra pas, par exemple !)
3) ils ne trouvaient pas utile de donner le nom de plats en japonais dans leur journal, parce que cela ne servira de repère à personne (si un nom de plat ne dit rien à personne, à quoi bon l’indiquer ?)

Tout compte fait, il n’y avait pas grand chose à rigoler dans le texte des Goncourt, ce sont exactement les mêmes réflexions qui nous traversent, nous aussi, de nos jours, quand nous mangeons un plat de cuisine étrangère.

J’ai remarqué par exemple, qu’au fur et à mesure que la reconnaissance de la cuisine japonaise se généralise, les Français retiennent et prononcent de plus en plus les noms de plats japonais. Ou en tous les cas, ils ont conscients de « devoir savoir le nom des plats » ; c’est pour cela qu’ils s’excusent, quand ils parlent de la cuisine japonaise face à des Japonais et qu’ils ne se souviennent pas du nom des plats qu’ils ont mangé. Reconnaître que les noms des plats existent, c’est reconnaître la valeur d’une cuisine.
Ainsi, aujourd’hui, le même passage du journal des Goncourt serait écrit ainsi :

Hier, chez Charpentier, les Japonais ont apporté de la cuisine fabriquée par eux, des « Satsuma-agé (ou Nerimono) », des gelées blanches et vertes de poissons dont nous avons oublié le nom et des « Norimaki (ou des « Maki », à la française) ».



Mais ce n’est pas encore le cas de certaines autres cuisines.
Par exemple, j’ai reçu un mail d’un ami français, qui pourtant a l’air d’avoir adoré la cuisine coréenne :

« Encore un déjeuner sublime : soupe de nouilles froide, précédée de viande de bœuf (avec des cèpes) braisés sur un grill au pourtour creux qui reçoit le liquide condimenté d’herbes avec lequel les tranches de viande sont arrosées, la galette (fourrée d’une crème discrètement vanillée qui fait trembler la vérité du peu d’attrait des délices sucrés en ce pays) »



Que dois-je penser ?
Il avait pourtant les moyens de communiquer avec les Coréens, et savait que j’aimais la cuisine coréenne.
En plus, il avait l’air d’apprécier et de reconnaître lui-même la valeur de la cuisine coréenne.

En lisant son message, dans ma tête, je procédais à la conversion suivante :

Encore un déjeuner sublime : Naengmyeon, Bulgogi et Hottok (probablement).



Mais ce n’est pas parce que j’ai plus de mémoire que lui.
Tout simplement, quand un plat est bon, je veux pouvoir retrouver le moyen d’en manger de nouveau, par conséquent j’essaie de retenir les noms pour pouvoir le commander dans un autre restaurant.

Peut-être ne pensait-il pas pouvoir manger de nouveau ces mets succulents dans sa vie, en tous les cas en France ? C’est en tout cas la seule hypothèse qui me vient à l’esprit.

À moins qu’il y ait des gens à qui le nom des plats importe vraiment peu ? Dans ce cas, d’où vient cette non-nécessité de classification des plats ? Cette question me travaille…
(lire la suite de cet article)

17 octobre 2011
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