Notes #12 - (15 septembre - 18 novembre 2016)

15 septembre 2016
Alors la chaise ? À votre avis ?
« On dirait que c’est elle qui regarde le paysage. Moi, ça me fait penser à la solitude. On dirait qu’il manque quelqu’un. Je me demande qui était là juste avant. On pense à s’asseoir. »
Rencontre avec les collégiens.
Discuter, présenter ce qui maintenant existe, imprimé sur du papier indéchirable, du © Tyvek, ce papier presque publicitaire. Leur projeter les séries de photos, de la carrière, des paysages et de la chaise. Lire le journal. Profiter de ce démarrage (c’est la rentrée pour eux) de leur démarrage de projet, pour venir avec des questions.
J’ai extrait toutes les questions contenues dans ce journal, je les ai imprimées et découpées. Distribution. Je passe entre les tables du cdi et c’est la sonnerie.

À la gare du RER, retrouver Eric Flogny, photographe, que j’invite pour une rencontre-lecture ce soir, et que je rencontre pour la première fois.
La première rencontre avec une de ses images a eu lieu des années avant, avec la couverture d’un livre de poche, acheté uniquement pour ce jeune homme assis la tête dans ses genoux, assis sur un rocher l’eau du lac affleurant autour.

Il y a de cela bientôt deux ans, j’avais enfin regardé le nom de celui qui avait fait cette photo. Je n’avais toujours pas décidé si j’avais aimé le livre ou pas. Puis j’avais oublié de le décider, j’avais oublié le titre et l’auteur. Mais j’ai trouvé le nom du photographe et j’ai aimé ce que j’ai découvert dans la rubrique laboratoire de son site. Des gens, des arbres, des lieux, de l’eau, les reflets, le flou, les troncs. La Finlande en commun.

Ce soir c’est une rencontre sur l’idée de l’arbre, des bouleaux, de la forêt. Une soirée à projeter la lumière fraîche du sous-bois sur le mur blanc de la médiathèque.
Vers minuit deviser encore sur les techniques d’accrochage en extérieur.
Avoir appris entre-temps qu’il s’agissait d’un autoportrait, sur le rocher.

16 17 18 septembre
Une entité de 3 jours en continuité comme savent l’être les journées pleines où chaque heure s’amalgame aux autres plus intensément.

Accrocher donc, en extérieur, constater qu’il ne pleut pas vraiment, qu’il fait presque beau et se dire que pour demain… Conclure ce qu’on se répète depuis le début que ça ira et que nous verrons bien. Et d’ailleurs ça ira.
Accrocher aux arbres, aux branches coincées dans les rochers, aux barres de la pelle mécanique élégante et anthracite (celle qui tamise la terre des pavés comme on le fait des coquillettes de l’eau de cuisson).
Prendre place dans la carrière à mesure que démarquent : le matériel les renforts les artistes invités les chaises les gobelets les toilettes sèches les barnums laids le projecteur (d’où le premier barnum) la table pour les petits-fours des élus qui nous expliqueront demain à l’inauguration (d’où le second abri de toile cirée) les transats doubles qui invitent à s’allonger les livres à lâcher que les visiteurs pourront emporter et le café.

Restituer/restitution
1 — Rendre ce qui a été pris indûment.
2 — Rétablir, remettre en son premier état.
3 — Reproduire un son.
4 — Reconstituer, en plan ou en élévation la topographie d’un terrain.
Petit Larousse

Lire avec Barroux, plasticien illustrateur, Sévreine Delbosq et 3 danseuses de la Compagnie l’Essoreuse, Philippe Laccarière, bassiste et contrebassiste, et Johann le Guilherm circadien de la Compagnie Cirque Ici.

Rendre audible, visible, matérialiser le travail souterrain (ou pas) de la résidence.
Rendre public et partager ce qui a eu cours. Inviter encore une fois, inviter et inventer pour deux jours. Retracer des étapes. Donner à voir une part. Comment le texte peut prendre corps, comment les mots et les photos racontent dans un lieu extérieur, comment dire au milieu d’un espace de travail, avec les autres artistes. Heureuse de les inviter et de me tenir à leur côté, de lier nos 5 performances, au milieu de la carrière et des hommes qui partagent leur savoir-faire, les ouvriers qui taillent le grès, le banc de roche, les pavés, les blocs. Co-habiter ensemble dans ce lieu particulier et clos de la carrière et de son sable clair.

Et par deux fois manger tous ensemble et boire des coups, avec une curiosité réciproque.
Faire griller à l’arrière des machines à l’arrière de la carrière et sous les arbres, s’installer tous sur les bancs autour de la grande table et vraiment partager, avec appétit.

25 septembre 2016
Restitution passée.
Depuis moins de 10 jours.
Le contrecoup inévitable d’une date d’importance, nous connaissons tous le phénomène et pourtant chaque fois cette sensation de vide et de désœuvrement. Compréhensible mais déroutante. C’est vrai que je n’ai plus rien à faire ?

2 octobre 2016
Préparer la lecture de Presqu’îl-e, ma pièce, avec Pierre Giraud. Reprendre avec lui les extraits du texte mis en place ensemble en avril lors de la première rencontre de la résidence.
Invitée à Confluences, cette salle qui est à la fois un lieu et une association, un lieu d’engagement artistique pour tous les publics, contre toutes les discriminations, depuis plus de trente ans.

Je découvre en même temps leur engagement et leur fin annoncée, du fait de la liquidation prononcée ce 29 septembre, principalement en raison de la part que représente le loyer annuel dû au bailleur privé et de l’absence de solutions ou de propositions par la ville, malgré des démarches engagées depuis 2008 (précisions sur la page de leur pétition et de leur page d’accueil).

Extrait de leur programme d’octobre :
« Pour l’heure, la dernière programmation portée par l’association Confluences durant le mois d’octobre nous place au cœur de nos empêchements. Nous vivons dans un monde binaire et cloisonné, où la bicatégorisation incite à nous scléroser et à nous opposer. Tout ce qui est différent est couvert d’opprobre, générant fascisme, droitisme, racisme, islamophobie, sexisme, homophobie, transphobie.
À ce titre, pour faire entendre d’autres voix et donner à voir d’autres corps, nous vous proposons l’exposition Trans Time qui réunit des artistes Trans venus du Canada et de l’étranger, une soirée festive Transes en collaboration avec Existrans et Shemale Trouble et le focus “Dégenrez-vous” avec des lectures et des spectacles. »

Presqu’îl-e est un projet multiforme, texte, photo, théâtre, qui porte sur cette question universelle : être soi. Comment le devenir, s’accomplir, au-delà des catégories et des genres ? Comment arriver au plus proche de nous même, espérer s’approcher ? Et sûrement ensuite (seulement ensuite ?) pouvoir s’occuper du monde, de l’extérieur et des autres.

16 octobre 2016
Lire.
Lire dans la salle vide sous le regard attentif et les conseils de Judith Depaule, auteure, metteuse en scène et traductrice. À l’un ou l’autre elle nous dit : articule, lève les yeux de ta feuille, regarde le public avant de commencer, je m’occupe des projections ne t’inquiète pas de ça, plus simple, dit les choses plus simplement encore…
Puis lire devant le public.
Avec grand plaisir.

photographie Dawei Ding
photographie Dawei Ding
photographie Dawei Ding

18 novembre 2016
De la restitution il me reste en tête :

Les mains de Barroux noires de poudre de charbon de bois jusqu’aux coudes, il dira c’est primitif et très agréable. Il a dessiné sur les grands blocs tout juste détachés du banc de grès un couple qui s’enlace et la végétation qui envahit qui berce et enserre.

Johann a équilibré et déséquilibré les dix cairns qu’il a installés sur les seconds blocs à hauteur d’homme. Le sable s’est écoulé des sacs en tissus de jambes de jean qui supportaient la charge, jusqu’à ce que les pierres tombent, par surprise.

Les danseuses à plusieurs reprises, ont été roches et massives, patientes parmi les visiteurs timides qui ne disaient rien mais regardaient. Elles ont été mouvements et chemins l’une passant l’autre dans le sable jusqu’à rejoindre les tailleurs et leurs démonstrations. Elles terminaient ondoyantes sur les sacs de pavés aux arêtes fraiches pieds nus pour finalement s’y endormir. Séverine me dit : j’ai cru que le soleil s’était levé à cause de la chaleur et du moelleux de la pierre.

Philippe a joué installé à côté des deux tailleurs de pierre, sa contrebasse source coulait doucement, cœur cadence pour les pas des danseuses ou le rythme de ce journal à voix haute.

Installée sur l’un des blocs je lis à ceux qui passent promènent écoutent ou découvrent, des paroles de descendants de carriers les souvenirs d’enfance, des entrées de ce journal.

La carrière est un cirque rond qui travaille qui affleure en dessous de la couche de terre arable avec son chemin qui descend et amène au monde couleur sable.

photographie marie-lys hagenmuller
21 novembre 2016
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