Raymond Penblanc | Il est passé par ici. Il repassera par là. (1)


J’aurais été confronté à des branches cassées (ce serait bientôt le cas, et je devrais alors réviser mon jugement), ou à des herbes foulées, j’aurais tout de suite songé au passage d’un cerf ou d’un sanglier. Ce que je découvrais me parut avoir été tracé par une main soucieuse de délivrer un message clair, ou par un pied, mais pas n’importe lequel, un pied connaissant parfaitement son alphabet, et qui savait par conséquent ce qu’il faisait. C’est pourquoi je tombai assez vite d’accord avec moi-même, en décrétant qu’il ne pouvait s’agir que de la pointe d’un sabre ou d’une botte, et que, si je poursuivais mon chemin en mobilisant la même vigilance, j’allais sûrement rencontrer d’autres messages, encore plus explicites. Guidé par mon intuition, je continuais donc en direction des cimes, lorsque je fus alerté par un agencement particulièrement significatif de petites pierres blanches, les une très plates, les autres non.

Puis, tout de suite après, par les initiales, toujours les mêmes, très grossièrement gravées dans le tronc écailleux d’un jeune pin sylvestre, à hauteur de regard.

Et enfin par la juxtaposition (sommaire) de branchettes cassées, preuve, s’il en était besoin, que l’auteur de ce nouveau message devait être assez pressé.

Pas de doute, m’écriai-je. C’était Lui, c’était bien Lui, le fameux général, dont je découvrais que le nom ne commençait donc pas par un H, ce qui me fit l’effet d’une petite bombe. Sans H, c’est-à-dire sans hache (et sans fusil, sans intention belliqueuse, un général marcheur, coureur peut-être, mais pas de ce qu’on croyait, un général pressé). Pas d’hache, pas d’âge, éternel en somme, Instin de tous les instants. Ce fameux Instin, que mes condisciples considéraient avec le plus grand respect, allant jusqu’à adopter des airs de conspirateurs, en raison de leur appartenance à cette secte d’initiés, dont moi aussi, me dis-je avec une émotion difficile à contenir, j’allais (peut-être) pouvoir bientôt faire partie.