Salerni

Livre de Séverine Daucourt-Fridriksson.


Si cet ensemble n’est pas à proprement parler constitué de poèmes, il n’en reste pas moins vrai que ces notes, coupures, coutures ou vignettes brèves que Séverine Daucourt-Fridriksson nous donne y ressemblent beaucoup.
Elle-même semble un peu déroutée dès qu’il s’agit de définir ce qu’elle écrit. Elle dit « jingles », ratures », « bouts de langue », « phrases en miettes » en sachant bien que l’essentiel est ailleurs : tout entier niché dans la pensée, l’émotion, le corps et ce qui peut naître, venir, bondir de lui. Ce qu’elle vit, elle l’exprime en se sentant parfois proche des

« filles convexes fières de leur corps citrouillé. visages aux yeux dépapillés regardant sexement. pupilles dilatées des vieux et des envieuses. art dévasté par cette pacotille d’éros aux airs postiches »

mais en n’excluant pas de s’en éloigner tout aussitôt pour poser d’autres sensations où peut, très rapidement,

« s’évanouir la langue à l’endroit d’une femme où les autres sont des hommes ».

Séverine Daucourt-Fridriksson avance en douceur. Elle s’immisce dans « une galaxie intime dévorée » en y gravant des fragments lumineux. En se servant des mots (choisis, polis, assemblés à la fois pour leur sonorité, leur sens, leur physique) comme autant d’outils capables de travailler la langue.

« un mot phare au bout de la langue clignote et tous les autres mots assaillant par tous ses bouts la langue ».

Sa façon de lier corps, langue et terre et, par extension, de s’y perdre tout en jouant à s’y retrouver est souvent empreinte d’une malice proche d’une bonne humeur qu’elle nous transmet. Sans pour autant annihiler une douleur que l’on sent en embuscade.

Sa force est de ne jamais en rajouter. Elle réussit ainsi à contenir son texte tout en ouvrant des vannes sensitives propices au grand débordement.

La section intitulée Grandie dare-dare incarne totalement cette maîtrise.

« enceinte elle est le couvent où le monde s’interne »

« lieu d’accueil sans lumière elle corps solaire pour d’autres famine à demeure balancée sur le lustre »

« les bords du corps changent ouvrant l’abîme où croît une flamme. cheminée trop étriquée. elle en carence neuf mois congédiée »

« vers le terme une embrasure sa voix remonte de sa source l’ombre antique du désir mais l’œuvre lui incombe et l’enfant en elle la porte qui se retourne ».

Salerni, ce sont à peine soixante pages pour découvrir une voix peu commune. Une voix claire, dérangeante, tranchante. Il n’y a pas à hésiter une seconde : la rencontre, étonnante, est bel et bien au rendez-vous.

Séverine Daucourt-Fridriksson lit ses textes, en compagnie de Fabienne Swiatly, à la Bibliothèque Municipale de Lyon la Part-Dieu le mercredi 16 décembre (18h30).


Séverine Daucourt-Fridriksson : Salerni, éditions La Lettre Volée.

15 décembre 2009
T T+