Témoignages de descendants de carriers
« Je suis née le 24 décembre 1934 à Arbonne la Forêt. Mes parents étaient originaires de Slovaquie. Ils sont arrivés en France en 1929. Ils sont allés travailler dans l’agriculture près de Reims. Ensuite comme son beau-frère et sa sœur étaient à Arbonne, ils sont arrivés très rapidement.
Mon frère est né en 1929 en Slovaquie. Vers 1930, ils sont arrivés à Arbonne la Forêt. Mon père a commencé par travailler en tant que carrier. À l’époque on demandait beaucoup de tailleurs de pierre, la main-d’œuvre était recherchée. En forêt de Fontainebleau il y avait beaucoup de roches à débiter. À Arbonne, il y avait essentiellement des agriculteurs. Les gens avaient des fermes et il n’y avait pas d’ouvriers carriers. La main-d’œuvre était essentiellement slovaque, portugaise et italienne.
Alors moi le jeudi j’amenais le repas de mon père en vélo. J’aimais bien aller en forêt. Il travaillait vers Noisy-sur-École vers la forêt des trois pignons. Il fallait s’enfoncer dans le bois où il y a beaucoup de châtaigniers. J’allais le regarder travailler et je lui apportais son repas. J’aimais beaucoup le voir. C’était tellement naturel qu’on ne faisait pas attention. J’aimais bien le voir prendre ses mesures et le voir faire ses pavés dans les dimensions demandées. C’était beaucoup de travail il y avait beaucoup de commandes il travaillait à tâche comme on dit. »
Thérèse
« C’était quand même un travail difficile. J’ai vu plusieurs fois mon père s’évanouir parce qu’il avait tapé avec une masse pendant des journées entières. Quand on tape pendant toute une journée avec une masse, le cœur est fragilisé. Mon père pouvait s’évanouir le soir tellement il était fatigué. C’est arrivé aussi sur la carrière.
Dans la région, j’ai vu les carriers travailler avec simplement un marteau, une masse et un pointeau. Ils ne mettaient pour ainsi dire pas de lunettes. Combien de fois mon père a été obligé d’aller chez l’opticien quand il y en avait un dans le coin ou sinon chez le docteur, pour faire retirer des éclats de fer dans les yeux. Il en avait dans les bras parfois. Au fur et à mesure qu’il tapait sur les broches, elles s’écrasaient et des éclats de fer partaient. Les éclats de roche ne partaient pas en direction du carrier.
Mon père avait les bouts des doigts en sang à force de porter le grès pour le charger. Quand on faisait ça toute la journée, les bouts des doigts étaient usés. C’était en sang. Alors il mettait des rustines au bout de ses doigts. C’était des bouts de pansements, des gants, du sparadrap ou des bouts de chambre à air. »
Daniel
« Celui qui passait les commandes c’était Monsieur Bonneau et Monsieur Chadel c’était des entrepreneurs. Monsieur Bonneau était quelqu’un de très gentil je connaissais moins Monsieur Chadel. Ils achetaient les pierres puis il y avait des gens qui venaient la travailler. Ils étaient payés d’après les commandes. Mon père était employé par disons Chadel. Mais Monsieur Chadel ne lui payait que le travail qu’il faisait. Il avait une commande de tant de pavés venant de Paris et il disait “Katina tu dois faire tant de pavés pour tel jour”. Et mon père était payé d’après son travail. Il devait certainement avoir des fiches de paie.
C’est moi qui ai préparé la retraite à mon père. Il a fallu que je recherche ses papiers. Pour savoir tout ce qu’il avait travaillé. Mon père avait son petit calepin. C’est ma jeune sœur qui a récupéré ses petits calepins. Tous les ans, j’offrais à mon père un petit calepin sur lequel il mettait tout ce qu’il faisait le nombre de bordures le nombre de pavés. Il a beaucoup travaillé pour les gens d’ici il faisait ses petits plans. Il mettait le temps qu’il fallait. Il écrivait en slovaque. Et il comptait en hongrois parce qu’ils avaient appris à l’école à compter en hongrois. C’était l’empire austro-hongrois à l’époque, comme ils étaient à la frontière de la Hongrie et la Slovaquie. Il était obligé d’apprendre le hongrois à l’école. »
Thérèse
« Pour fendre la roche, les carriers faisaient des petits trous à l’aide d’une broche. Une broche était un outil pointu en acier trempé dont le diamètre était entre 1 et 1.5 cm. Les carriers faisaient une sorte de petite gorge d’environ 3 cm de profondeur sur une largeur d’1 cm et une longueur d’environ 3 cm. L’objectif était de pouvoir insérer un coin. Ils mettaient des coins sur toute la longueur de la roche. Afin que les coins puissent entrer plus facilement, les carriers mettaient des petites plaquettes en acier entre le coin et le grès. Ensuite avec des masses, ils tapaient jusqu’à ce que la roche se fende doucement.
Quand les carriers fendaient verticalement une roche, ils inséraient un morceau de bois au fur et à mesure que la roche était fendue. Plus la roche s’écartait plus le morceau de bois descendait. Ceci permettait d’éviter que le bloc de grès ne revienne. »
Daniel
Extraits de témoignages de descendants de carriers, collectés depuis plus de deux ans par le Parc Naturel Régional du Gâtinais Français. Des témoignages continuent à être recueillis, et j’y assiste avec beaucoup d’attention, durant la résidence d’auteure.