Territoire personnel
Ensuite commençait la garrigue, son territoire personnel, la tranquillité sans menaces, la solitude, son bien. Personne. Il montait par le sentier dans les poussières, les thyms, les muscaris, les lavandes, les buissons de genièvres, les chênes-lièges nains, les vignes abandonnées, quelques pins. Aux coins des vieilles vignes, des pêchers de vigne, des amandiers aux fruits couverts de fourrure verte et grise, comme des oreilles d’âne. Septembre. Chemin ponctué d’insectes, de froissements, de lézards. L’appel des chiens et des chasseurs, loin. Les passages de vent. Le continuum des grillons comme un silence protecteur. Sur le sentier, son pas faisait jaillir les sauterelles. Elles étaient brunes, comme poussiéreuses. Pendant leurs bonds, on voyait se déployer le drapeau de leurs élytres, les uns bleus, les autres rouges. Se penchant vitement sur une pierre, il en attrapait une parfois, avant qu’elle n’ait le temps de bondir. Il la maintenait sur sa paume, d’un doigt appuyant doucement sur le dos de l’insecte, mesurant la forte poussée de ses cuisses, prêtes au saut. Les minuscules griffes griffaient minusculement, chatouillaient sa peau. Il enlevait son doigt, la libérait.
Jacques Roubaud, Ciel et terre, et ciel et terre, et ciel, Flohic éditions, 1997.