Vies et destins d’Effi Briest
ce sont des voyelles très élégantes. »
Günter Grass, Toute une histoire.
« À quoi servent les fourneaux et les cheminées ? »
L’aventure entre Effi, épouse du baron von Innstetten, et le commandant Crampas n’a rien eu de ces passions exaltées qui bouleversent les repères d’une vie rangée. Six ans plus tard elle a été oubliée par ses protagonistes même. Du moins, un été, elle accéléra les battements du cœur, colora les joues, redonna de l’allant au corps de la jeune femme. Il en est resté des questions qu’Effi a posées à sa servante catholique Roswitha : qu’est-ce que le péché ?, qu’est-ce que la culpabilité ?, qu’est-ce que le remords ?, des mots qu’elle connaît mais dont le sens lui est étranger. Elle admettrait volontiers qu’elle ne s’est pas comportée très honnêtement vis-à-vis de son mari mais quoi ! ce fut affaire de circonstances : le malaise d’habiter une maison qu’on disait hantée par un Chinois malheureux en amour, l’ennui de vivre dans une petite ville de province, quelques voisins amicaux mais soucieux du qu’en-dira-t-on, des songeries sans objet quand soudain : la séduction d’un homme encore jeune, la curiosité de conduire une intrigue. D’ailleurs son mariage n’a-t-il pas également été affaire de circonstances ? Jeune fille d’à peine dix-huit ans, joyeuse, sportive, indépendante et non conformiste dans les limites d’un milieu petit-bourgeois, en quelques heures elle s’était retrouvée fiancée à un inconnu : le baron von Innstetten, landrat c’est-à-dire fonctionnaire du rang d’un préfet, âgé d’une quarantaine d’années, un ancien soupirant de sa propre mère. L’excitation de quitter le domicile familial et d’occuper la place d’épouse — motif de chuchotements sans fin avec ses amies —, la perspective d’un rang assuré dans la bonne société avaient fait le reste : le mariage avait bientôt été célébré. Si le mariage, qui engage toute l’existence, n’est qu’affaire de circonstances, à plus forte raison la courte aventure d’un été.
Et lui, le commandant Crampas ?
Un homme à femmes, à femmes mariées surtout.
L’aventure en question ?
Quelques rendez-vous dans les dunes, derrière le moulin. Pas de quoi remettre en cause deux mariages, pas de quoi, pour lui, abandonner une épouse :
« …Partons, dis-tu. Fuyons. Impossible. Je ne puis abandonner ma femme et la réduire à la misère. Il faut en prendre son parti. L’insouciance est notre meilleure part. C’est la destinée. Il fallait qu’il en fût ainsi. Préférerais-tu qu’il en fût autrement et que nous ne nous soyons jamais connus ? »
Une nouvelle circonstance – la nomination du baron Innstetten au ministère, à Berlin – s’est chargée de mettre un terme à l’aventure. Ce qui s’est passé avec Crampas ? Un passe-temps plaisant, pas même de quoi formuler un aveu d’adultère… Enchantée par l’idée d’habiter dans la capitale et par les promesses d’une vie plus mondaine qu’à Kessin, Effi tourne la page prestement. Elle a noué d’une faveur rose les quelques billets reçus de Crampas et les a rangés dans le troisième tiroir, celui du bas, de sa table à ouvrage. Les détruire aurait été leur accorder trop d’importance. Elle découvre la grande ville. De la fenêtre de son appartement qui ouvre sur le Zoo, elle ne se lasse pas d’observer l’animation de la rue, les promeneurs insouciants, les voitures, les tramways, tous les signes de la richesse et de la modernité…
Que le dénouement soit heureux ou malheureux, l’amour versus le mariage en tant qu’institution sociale est un thème qui a fait ses preuves en littérature. De l’histoire d’Effi Briest, Theodor Fontane a fait un roman qui nous introduit dans la société prussienne de la fin du XIXe siècle. Il en a même fait deux romans, nous apprend le préfacier Joseph Rovan. Le premier roman, L’Adultera, a été écrit en 1879-1880. « Le romancier Fontane fait penser aux peintres qui reproduisent plusieurs fois le même tableau, pour en cerner et épuiser toutes les possibilités, tableau qui n’est en fait jamais entièrement le même, explique-t-il. Dans L’Adultera, Fontane prend — audacieusement pour l’époque — le parti de la femme infidèle qui triomphe de toutes les embûches dans le bonheur d’un amour que le monde juge coupable. » Effi Briest est-il aussi audacieux ?
Quand dix ans plus tard, entre 1889 et 1894, Theodor Fontane reprend le thème de l’amour hors mariage, il en conçoit une variation. Il conserve les éléments de base — le mariage, l’amour, la société — mais modifie les lignes de tension. L’Adultera opposait le mariage et l’amour — et l’amour venait à bout du mariage —, que se passe-t-il si l’on oppose le mariage et la société ? Qu’arrive-t-il quand c’est la société — et non plus l’amour — qui se manifeste au cœur du mariage ?
Reprenons la lecture d’Effi Briest, possibilité romanesque. C’est à nouveau une circonstance qui transforme la courte aventure d’Effi et de Crampas en adultère constitué, désigné comme tel. Six ans après l’installation à Berlin, Annie, la fillette des Innstetten, tombe dans l’escalier et se blesse le front. Madame est absente, de santé fragile elle prend les eaux à Ems en compagnie de la conseillère (comprendre : l’épouse du conseiller) Zwicker. Vite, la gouvernante d’Annie cherche un tissu qui ferait office de compresse en attendant l’arrivée du médecin. Roswitha croit en avoir vu dans la table à ouvrage de Madame. La table est fermée à clé. Roswitha prend des ciseaux, force la serrure, les tiroirs s’ouvrent, un beau désordre se disperse. Ah, une bande de coton.
Le baron, de retour du ministère, observe distraitement les objets féminins répandus sur le sol, bobines de fil et de soie, petits bouquets de violettes séchées, cartes de visite… Son regard est attiré par un ruban rose. Il le ramasse, le dénoue, lit les billets envoyés par Crampas à Effi : ils ne laissent pas de doute sur la nature de leur relation. C’est au cours de cette scène que Theodor Fontane détourne le roman de la mélodie sentimentale qu’interprétait L’Adultera.
Au fait, quel genre d’individu est le baron ?
Geert von Innstetten est un homme d’âge mûr, placide, cultivé, raisonnablement tendre et attentionné pour sa jeune épouse, raisonnablement préoccupé par sa carrière de fonctionnaire. Quant à leur différence d’âge il se montre reconnaissant envers Effi qui manifeste encore tant de fougue et de joie de vivre, elle le rajeunit. En même temps : il sait se montrer ferme pédagogue quand elle semble ignorer les devoirs attachés à leur situation sociale.
Mais pas plus que son mariage n’avait engendré la passion, la découverte de l’adultère ne déclenche sa jalousie. L’excès en tout le désarme et la lecture des billets le prive de toute réaction personnelle, nulle part en lui il ne trouve un ressort psychologique correspondant à la situation. La société, que le bonheur ennuie et qui n’attendait qu’une occasion pour intervenir dans l’intimité du couple, fait alors irruption sur la scène. Prenant les commandes au nom du système moral de l’époque, elle substitue l’amour-propre à l’amour conjugal. Le soir même, Innstetten décide de provoquer Crampas en duel afin de conserver l’estime que la société porte à son rang social. Un ami chez qui il se rend pour lui demander d’être son témoin tente de l’en dissuader. En vain : il doit se battre, ne serait-ce que comme fonctionnaire représentant de l’État. La conséquence lui apparaît dès le lendemain du duel : il doit divorcer. Le duel avec Crampas a révélé au grand jour l’adultère de son épouse, que faire maintenant sinon, à son tour, se scandaliser officiellement et se séparer d’Effi ? Était-ce ce qu’il voulait réellement ? Il interroge le bien-fondé de sa décision :
« J’ai quarante-cinq ans. Si je n’avais trouvé ces lettres que dans vingt-cinq ans, j’en aurais eu soixante-dix. Wüllersdorf m’aurait dit : …˜…˜Innstetten, vous êtes fou.’’ Et si Wüllersdorf ne l’avait pas dit, ç’aurait été Buddenbrook, et à défaut, moi-même. C’est clair. Quand on va jusqu’au bout des choses, on exagère et on récolte le ridicule. Pas de doute. Mais où cela commence-t-il ? Où est la limite ? Au bout de dix ans, le duel s’impose encore, c’est ce qu’on appelle l’honneur, mais au bout de onze ans, peut-être dix et demi, cela devient absurde. La limite, la limite ! Où est-elle ? Y était-elle ? L’avais-je déjà franchie ? […] La vengeance n’est pas belle, mais c’est quelque chose d’humain, elle a un droit naturel. Mais tout cela n’a été qu’une histoire montée de toutes pièces, une demi-comédie, pour l’amour d’une idée. Et cette comédie, il faut que je la continue, que je chasse Effi, que je consomme sa ruine, et la mienne en même temps… Il fallait brûler les lettres et n’en parler à personne. Quand elle serait revenue, sans soupçon d’aucune sorte, il fallait lui dire : …˜…˜Voici ta place’’ et me séparer d’elle dans mon cœur. Et non pas aux yeux du monde. Il y a tant de vies qui ne sont pas des vies, tant d’unions qui ne sont pas des unions… »
Les objets quotidiens, agents des circonstances, ont tenu leur rôle. Dans la vie du baron, la faveur rose qui enveloppait les billets de Crampas. Dans la vie d’Effi, toujours à Ems et ignorante des événements, les ciseaux à broder à monture de nacre avec lesquels elle ouvre le courrier de sa mère qui lui apprend le duel et la mort de Crampas, et ce qui en découle : le divorce, l’interdiction de revoir sa fille, l’impossibilité pour ses parents, par bienséance, de l’accueillir chez eux. « Ce n’était qu’une bêtise, et voilà du sang et de la mort », pense-t-elle, mesurant l’écart entre une aventure sans lendemain et ce qui, sur la scène d’un opéra, aurait donné lieu à un grand aria. Mme Zwicker commente ainsi la « bêtise » : « Que pouvait être ce Crampas ? C’est incroyable — lui d’écrire des billets et des lettres et elle de les conserver. À quoi servent les fourneaux et les cheminées ? Une génération prochaine pourra peut-être se livrer sans danger à cette passion épistolaire, mais nous n’en sommes pas encore là. »
Ni le baron ni Effi n’ont assez de caractère pour se révolter contre le conformisme social paresseux et au fond, indifférent, qui détruit leurs deux existences. Chacun se résigne de son côté. Le baron, que le duel a délié du mariage mais non du souvenir de la jeune femme, se raidit dans son rôle d’époux bafoué. Effi Briest meurt de consomption et de tristesse quelques années plus tard, recroquevillée dans le nom de jeune fille qui donne son titre au roman et sous lequel elle est enterrée.
« Ce qui reste est toute une histoire »
Même morte, Effi Briest reste à jamais vivante. Sa disparition est une modalité de son histoire, elle ne diminue en rien l’écho en nous de ses fous rires, coquetteries, audaces et langueurs…
Voilà bien une réflexion de lecteur à qui sa position hors champ romanesque autorise tous les accommodements ! Vous êtes-vous jamais demandé ce qu’en pensent les personnages ?
Non.
Alors écoutez-moi : eux aussi – du vaste territoire de la fiction où se croisent Elizabeth Costello et Tusitala, Juliette et Saïd Mahrane — ont leur mot à dire. Croyez-vous qu’ils se sont résignés aussi vite que vous à la mort d’Effi Briest ?
Je l’ignore.
Krapp, ce nom vous dit quelque chose ?
La dernière bande…
Eh bien ce Krapp-là, celui de Samuel Beckett, oui, a envisagé avec sérieux l’hypothèse de son bonheur avec Effi :
Me suis crevé les yeux à lire Effie encore, une page par jour, avec des larmes encore. Effie… (Pause.) Aurais pu être heureux avec elle là-haut sur la Baltique, et les pins, et les dunes. (Pause.) Non ? (Pause.) Et elle ? (Pause.) Pah !
Et dans Toute une histoire de Günter Grass [2], un certain Fonty a imaginé que Crampas et Innstetten s’abattaient l’un l’autre au cours du duel, laissant à l’héroïne la vie sauve :
« Pas de doute ! C’est la mère, cette entremetteuse, qui a mis en marche cette mauvaise affaire. Il faut qu’elle expie à la fin, qu’elle aille par exemple au couvent de Dobbertin, pendant que le vieux Briest fait un grand voyage avec sa fille et sa petite-fille, non, pas en Italie, en Chine, pour que le spectre disparaisse enfin. Et sur le vapeur à deux cheminées qui lance un grand panache, et parmi les passagers duquel se trouve un marchand d’épices hollandais, Botho et Lene von Rienäcker [3], avec autant de logique que de contingence, rencontrent les Briest au dîner […] C’est très bien, que Lene soit là et flâne sur le pont bras dessus, bras dessous avec Effi. Du reste, on les voit ensuite toutes les deux faire du shopping à Hong Kong… Des bâtons d’encens, des petites boîtes laquées, de la soie… »
Au fait, quel genre de personnage est ce Fonty ?
Son véritable nom est Theo Wuttke. Personnage principal du roman de Günter Grass, c’est un modeste fonctionnaire est-allemand, un peu timoré, qui se consacre à la vie et à l’œuvre de Theodor Fontane, d’où le surnom familier que lui a donné son entourage, Fonty — l’abréviation du prénom relevant plutôt du choix de l’auteur. Cette passion pour « l’Immortel », qui transfigure son existence, est quasi une prédestination puisqu’il est né en 1919, un siècle jour pour jour après Theodor Fontane dans la même petite ville de Neuruppin, dans le Brandebourg. Le roman commence à Berlin en 1989, année de la chute du Mur.
Fonty est suivi pas à pas par Hoftaller [4], « l’ombre-diurne-et-nocturne » chargée par les renseignements généraux de l’espionner. Côte à côte Fonty et Hoftaller passent des heures à marcher dans Berlin, assister aux fêtes de l’Unité retrouvée, observer oiseaux et promeneurs dans les jardins du Tiergarten, simuler leur échange sur le pont de Glienicke comme au temps de la guerre froide, visiter le Brandebourg afin de vérifier si « l’arrière-pays » des romans de Fontane n’est pas en train de disparaître sous la violence des restructurations industrielles et des opérations immobilières. Hoftaller, qui joue l’importun en s’invitant au mariage de la fille de Fonty, incarne la menace étatique permanente qui l’a empêché de quitter le pays pendant toutes ces années. Mais il se montre aussi son soutien indéfectible lors des « faillites nerveuses » dont souffre Fonty, comme Theodor Fontane en son temps, à intervalles réguliers. Hoftaller et Fonty ont un point commun : ayant tous deux connu le régime communiste est-allemand, ils peuvent comparer l’ancienne grisaille et le « foutoir » du nouveau capitalisme.
Ceux qui travaillent aux Archives, « nous autres », sont la voix narrative du roman. Sortant rarement de leurs bureaux, ils rassemblent, conservent, classent tout ce qui a autrefois concerné Theodor Fontane et aujourd’hui Fonty : œuvres et conférences, carrière professionnelle, vie familiale, amours, amitiés, correspondances et leurs brouillons, ragots et rumeurs.
Fonty, Hoftaller et les Archives sont les trois pôles qui documentent, chacun de son point de vue, la vie et l’œuvre de Theodor Fontane : Fonty en s’identifiant à lui, Hoftaller en l’ayant constamment à l’œil, les Archives en enregistrant tout indistinctement. Ils forment un triangle biographique indissolublement lié à qui il arrive de se réjouir, se chamailler, se confier, se taire, mentir.
En sait-on davantage sur l’Immortel grâce à eux ?
Ils nous racontent sa vie, nous rappellent son œuvre, comparent ses romans dont ils donnent le making-of : dans quelles circonstances il les a écrits — à quelle période de sa vie, qui il fréquentait alors —, quelles difficultés il a rencontrées, quelles étaient ses sources, comment il concevait l’art romanesque : « (Qu’est-ce que l’action ? Ce n’est souvent qu’un léger déplacement de chaises, rien de plus.) »
Toute une histoire déroule deux fois l’histoire politique, militaire, économique, littéraire de l’Allemagne à cent ans d’intervalle. La traversée de l’Allemagne du XIXe siècle et de l’Allemagne du XXe siècle, le récit de la vie de Fontane et de la vie de Fonty — amitiés de jeunesse, démêlés politiques… — amènent le lecteur à suivre le curseur temporel que Günter Grass déplace, chapitre après chapitre, de 1989 à 1819 et retour, de manière parfois si rapide qu’on ne peut plus distinguer Fonty de Fontane : c’est le même jour que Fonty fête ses soixante-dix ans et les cent soixante-dix ans de son héros. L’image du curseur temporel est présente dans le roman : c’est le paternoster, ascenseur à mouvement continu en usage dans le bâtiment des Ministères où travaille Fonty :
Il [Fonty] surgissait d’en bas, visible d’abord jusqu’à mi-corps, puis tout entier, disparaissait vers le haut, décapité puis coupé à la ceinture, ne montrait plus que ses hautes bottines à lacets, paraissait s’être évaporé ; mais à l’étage au-dessus, sa silhouette identiquement chenue et moustachue réapparaissait en buste, puis en pied, et s’imposait un bref instant ; ou bien il arrivait d’en haut, montrant d’abord ses bottines, ensuite la moitié puis l’intégralité de sa personne serrant sur sa poitrine une pile de classeurs, jusqu’à ce que son visage familier semblât prendre congé en s’enfonçant ; tout à fait disparu, il rentrait lentement dans le champ à l’étage inférieur — et s’il y avait là des dossiers à déposer ou à reprendre — il sortait alors de la cabine, toujours serrant ses classeurs.
Le plan perpendiculaire au paternoster est recouvert de tapis : turc dans le bureau de Fontane, chinois dans la chambre-bureau de Fonty, « substituts de voyage » sur quoi l’un et l’autre font les cent pas, l’Immortel avant de travailler à Effi Briest dont il n’arrive pas à écrire les derniers chapitres, ceux de l’abandon, de la solitude et de la mort, Fonty au texte d’une conférence « Pourquoi Effi Briest n’est pas une Emma Bovary allemande ».
Fonty monologue : « Oui, nous ramions sur des eaux calmes, presque dormantes. Parfois nous laissions dériver le canot. Il n’est pas impossible qu’ait été engendrée dès alors une enfant littéraire qui vint au monde sous un titre éternel. » Ce qui lui tient à cœur c’est de rendre à Effi Briest sa liberté de mouvement. Afin de lui garder la vie sauve, il aurait pu imaginer qu’elle brûle les billets de Crampas – qui apparaît, à distance d’un roman, comme un médiocre coureur de jupons — avant d’arriver à Berlin (comme le suggérait la conseillère Zwicker).
Le baron von Innstetten n’aurait rien su de son infidélité…
Il n’aurait pas provoqué Crampas en duel…
Effi serait restée son épouse…
Fonty ne lui souhaite pas un tel avenir : un mariage qui dure offre-t-il l’image de la liberté ? Son expérience personnelle — son mariage avec Emmi — lui fait répondre que non. D’où sa solution radicale : faire mourir et l’amant et le mari, laissant la jeune femme libre de visiter la Chine et de rencontrer, qui sait, un personnage de Jules Verne ou d’Antoine Volodine.
Et n’est-ce pas la présence d’Effi Briest qu’il retrouve dans Madeleine Aubron, sa petite-fille française chez qui, après avoir quitté épouse et patrie, il part vivre dans les Cévennes ? Il adresse une dernière carte postale aux Archives :
Elle disait tout : le côté brillant montrait un paysage de collines, vert à l’avant, de plus en plus bleuté vers l’horizon, auquel correspondait le verso où le timbre — une Marianne carmin ! — portait un cachet de la poste illisible et où quelques mots étaient, cette fois, tracés à l’encre.
Nous lûmes : « Avec un peu de chance, nous nous retrouvons dans une région colossalement déserte. La petite me charge de saluer les Archives, souhait que j’exauce volontiers. Nous allons souvent aux champignons. Par temps stable, il est possible de voir loin. Du reste, Briest se trompait ; moi, en tout cas, j’aperçois le bout de l’histoire… »
[1] Effi Briest, roman de Theodor Fontane (1819-1898), traduit de l’allemand par André Cœuroy, préface de Joseph Rovan, Gallimard, 1981, collection L’imaginaire. Joseph Rovan a également préfacé Le Questionnaire d’Ernst von Salomon.
Rainer Werner Fassbinder en a donné une version cinématographique en 1974 avec Hanna Schygulla dans le rôle principal. Titre complet du film : Fontane – Effi Briest ou : Un grand nombre de gens qui ont une idée de leurs propres possibilités ou besoins admettent pourtant par leurs actes le système dominant dans leur tête et ainsi le renforcent et l’entérinent de bout en bout.
[2] Toute une histoire roman de Günter Grass paru en Allemagne en 1995, traduit en français par Claude Porcell et Bernard Lortholary, éditions Gallimard.
[3] Autres personnages de Theodor Fontane.
[4] Une note de Günter Grass à la fin du roman explique que ce personnage est emprunté à Tallhover, roman de Hans Joachim Schadlich paru en 1986, traduction française de Bernard Lortholary, éditions Gallimard.