Animisme

Animisme
Aux jours lumineux de septembre, j’ai retrouvé la Seine et le château de La Roche-Guyon.
La réinstallation dans les lieux commence par une exposition, L’ESPRIT des PLANTES. J’y présente des photos-poèmes où des détails de plantes et d’arbres surgissent en grand format sur un mur rouge terre. Du broyat de branches et des feuilles mortes sont étalés au sol et apportent une odeur de vie en décomposition. Une odeur de vie.
J’aspire à faire signe aux visiteurs. J’espère qu’en sortant du bâtiment, ils iront dans le jardin où les plantes foisonnent, qu’ils leur prêteront attention.
Cette installation me ramène à mon sujet d’écriture : l’animisme.
Bien que je lise avec appétit sur le sujet, je ne saurais en donner une définition. Sur un chemin balisé par les propos de Philippe Descola, anthropologue, de David Kopenaya, chaman Yanomami, de nombreux autres auteurs passionnants, je suis partie à l’aventure vers des expériences sensibles.

Je m’aventure à changer de point de vue, à écouter celui d’un arbre, d’un tigre, d’un insecte et à le prendre en compte. J’envisage cette pratique comme un exercice spirituel, comme un exercice nécessaire. Il me semble que pour faire exister l’écologie autour de moi, il m’est nécessaire de faire germer en moi la présence du vivant.
Je suis comédienne et sans doute, cela m’aide à changer de perspective. J’écris de la poésie et cela sans doute m’aide ! J’épouse les mots de Marina Tsvetaeva : « Embrasser un homme ou un arbre, c’est pareil. C’est tout un ».
J’ai appris la conversation avec les plantes d’un grand-père jardinier que son jardin a métamorphosé. Il m’a rendu perceptible cette présence du vivant.
« Le vivant », ce mot contient une vérité simple : j’habite un monde partagé avec d’autres formes de vie. Elles sont animées d’un souffle propre, d’un dessein singulier, d’une intelligence, auxquels je me rends. La nature est autant en moi qu’autour de moi.
Alors que de nouveaux paradigmes apparaissent, que les conséquences désastreuses des actions de domination de la nature sont devenues visibles, la pensée des peuples racines prend toute sa mesure. Je m’y plonge sans l’imiter. L’expérience que je mène est une pratique poétique, une pratique d’écoute et d’écriture, j’invente mes propres règles du jeu au fur à mesure des conversations végétales.

Le dit de l’arbre
Pendant la période de confinement, tous les matins, je suis allée à la rencontre d’un arbre, un saule tortueux. Il se dresse vers le ciel tout en tournant ses branches sur elles-mêmes. Les courbes qu’il ajoute à son propos, les circonvolutions qu’il met dans l’élégante ligne droite de son discours, m’émeuvent.
Qui a choisi l’autre ? Je ne sais pas. Que m’enseigne-t-il ? Avant tout il me renseigne. Sur mon état et celui du monde. Y a-t-il du vent, des larmes, des essoufflements, des alarmes ou une tranquille persévérance à être ? Je remarque que mon arbre me pousse à la rêverie : il attrape mon attention, l’entortille dans les cercles verts où elle navigue jusqu’à atteindre une goutte de sève, celle que pleure le saule tout au bout de sa branche. J’y recueille la substance de mes rêves enfouis.
Parfois mon arbre me mène à la rencontre d’idées : Planté auprès de deux autres saules, il accorde sa pousse à celle de ses voisins avec retenue et précision. Il me fait remarquer leur capacité à s’adapter ensemble au milieu, à vivre en symbiose.
Parfois il me pousse à oublier ma langue maternelle, le singulier et le masculin qui le désigne, pour lui faire face dans sa multiplicité. Cela me désarme. Je me sens dépassée… inculte.

J’ai quitté le saule et je retrouve les arbres de La Roche-Guyon. Maintenant qu’ils sont feuillus (je les ai quittés le 16 mars et les ai à peine vus depuis), ils expriment leurs qualités avec plus de netteté.
Dans le potager-fruitier, les poiriers sont nombreux, des centaines. Couverts de fruit ils ne cessent de remuer, de bruisser. Plantés au bord des parcelles, leurs branches dépassent sur les allées, elles frôlent les promeneurs. Ces arbres-là sont habitués à la fréquentation assidue des humains. Ont-ils ressenti un manque pendant le confinement ? Ils sont devenus téméraires, provoquant les corps à corps. D’une seule voix ils chantent à la moindre brise. En marchant parmi eux, je me baigne dans leur foule palpitante de jeunesse.
Mais je remarque un arbre pour la première fois, un noyer qui vit hors du jardin. Il s’est installé au bord de Seine, en liberté. Il a l’assurance tranquille du solitaire. Je viens et reviens m’installer à ses côtés. D’abord sans y penser, puis patiente, attentive, j’infuse. Sans doute les informations qu’il transmet prendront un jour ou l’autre la forme de pensées.

28 septembre 2020
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