Aude Pivin | Petite histoire des accessoires de scène malmenés (I)

Il y a votre sac rigide en cuir noir, assorti à votre soutien-gorge, il y a ce sac aux anses rondes dont la taille pourrait le rapprocher du cabas, mais non, c’est un sac à main avec deux anses pour un porté main même si vous ne le portez jamais à la main mais le serrez contre la poitrine à partir de l’instant où vous y rangez votre destin. Car vous avez choisi le désir avec le sac même si le sac est trop petit pour tout le désir que vous voulez y mettre : la liberté sexuelle et son grand souffle. Le sac est trop petit, le metteur en scène vous a remis un accessoire qui ne peut, en réalité, contenir à la fois 40 000 dollars en billets de banque dans une large enveloppe blanche, des certificats administratifs et le Los Angeles Tribune. Ce n’est pas possible, tout déborde, tout se voit, se devine comme les rêves de liberté se lisent sur votre visage clair. Donc vous aurez beau forcer les deux liasses de billets de 20 000 chacune dans le sac à main pour les cacher, les certificats et le Los Angeles Tribune, dans un sens ou dans l’autre, toujours quelque chose dépasse, jaillit, hors de portée, hors de contrôle comme un lapin que vous voudriez maintenir contre vous et qui remue et attire tous les regards alors que vous souhaiteriez qu’on regarde ailleurs, qu’on vous fiche la paix. Mais c’est impossible car il y a le metteur en scène qui vous scrute, qui vous a d’abord affublée d’un soutien-gorge blanc, puis d’un noir, vos seins aussi visibles que le sac : on ne vous lâche pas dans la nature comme ça. On ne vous laissera pas en paix, on guettera chacun de vos gestes, on vous poursuivra avec votre sac et votre désir noir, qui harponne le regard du premier plan cinématographique au dernier de vous vivante dans ce film d’Hitchcock. Car vous allez mourir dans le film, Janet Leigh, pour avoir cru à son scénario, pour avoir désiré trop grand. Vous vous êtes piégée dans un monde où vous ne maîtrisez pas les règles et où, à chaque étape de cette quête de liberté (et pourquoi n’y auriez-vous pas droit, vous aussi ?), un homme (le client), puis un deuxième homme (votre patron), puis un troisième (le policier), puis un quatrième (le vendeur de voiture), puis un cinquième (le directeur du motel) vous rappellera que non : ce n’est pas votre rôle, ce n’est pas votre place.

Aude Pivin

18 mars 2020
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