Benoît Artige | Figures libres, Abdel Halim Hafez
“Ta vie sera d’errer sur la mer de l’amour comme un bateau sans voile” lui avait dit la vieille. Il avait regardé à son tour au fond de la tasse : n’y pouvait-on pas lire autre chose – pourquoi pas le succès, l’argent ? pourquoi pas l’aventure au-delà des rives du fleuve ? pourquoi pas même une mort héroïque ? C’était trop ou pas assez en guise de destin. Il n’avait pu se débarrasser dès lors de ce souvenir, des yeux de la vieille plantés dans les siens, amers brûlant dans la nuit sombre, et de cette prédiction d’une beauté triste qu’il trimballait telle une amulette dont il ne savait que faire. Le vent, décidemment non, ne soufflerait pas pour lui et il avait beau s’en consoler auprès de conquêtes furtives et sans cesse renouvelées, les mots doux qu’il susurrait à leur oreille ne semblaient pas être pour ces femmes une raison suffisante de s’appesantir dans ses bras, comme les paroles d’une mélodie un peu mièvre qui, la dernière note de musique évanouie, disparaissent aussitôt de la mémoire.