Benoît Artige | Figures libres, Aishwarya Rai
C’est de cette manière qu’il lui avait appris à surmonter sa peur des orages : alors qu’elle était descendue dans le salon toute tremblante, les pieds nus et en chemise de nuit, expulsée de son lit par une frayeur déraisonnable, il l’avait autorisée à regarder avec lui cette scène de Devdas où Aishwarya Rai danse une bougie à la main – bougie que rien ne peut éteindre, ni la pluie, ni les pleurs, ni le tournoiement des saris. Blottie contre son père, la petite fille, que les coups de cymbales énormes du dehors faisaient encore frémir, s’était laissée peu à peu happée par la profusion des images et le tournoiement des corps. De cette leçon à bien des égards énigmatique, la petite fille avait retenu peu de choses, mais l’essentiel : que la beauté réside dans le mouvement et qu’en cas de mauvais temps, tant que la bougie reste allumée, rien de grave ne peut se produire – pour cela, il fallait absolument reproduire avec exactitude chacun des gestes de la belle Paro, ce à quoi la petite fille s’était scrupuleusement entraînée devant le miroir de sa chambre les jours qui avaient suivi. La grammaire compliquée des mains avait fait l’objet d’un apprentissage particulièrement assidu : mains-éventails, mains-oiseaux, mains-clochettes, mains-suppliques. Du bout des doigt, désormais, elle savait comme personne dompter tous les ciels, même au plus fort de leurs caprices.