Benoît Artige | Figures libres, Francis Poulenc
Ce compagnonnage au long cours avec ses Carmélites commençait à lui peser. Il cherchait de nouveau à retrouver le goût des choses un peu comme un pénitent après un interminable carême, mais il était depuis une semaine à Milan – qu’il avait rêvé colorée et gaie comme toute l’Italie, mais qui affichait le luxe sinistre et bête d’un intérieur de banquier – pour les répétitions des Dialogues et il s’ennuyait ferme. Pire : il dépérissait à l’endroit même où il avait espéré pouvoir revivre. A Paris, il pouvait toujours compter sur “sa” Denise pour le remettre sur pied et l’extraire de la plus sombre déprime : ils allaient écouter du jazz au Chat qui pêche ou dîner à la Closerie des Lilas. Mais ici, rien : on était assigné en résidence toute la journée et jusqu’à tard le soir entre les quatre murs de ce sinistre couvent en carton – et c’était un défilé de croix, de cierges et d’encensoirs à vous faire venir les pires angoisses nocturnes. Aussi comptait-il avec une impatience gourmande et plutôt suspecte les jours restant avant le filage de la scène finale où toutes ces dames se font couper la tête en chantant un Ave Regina. Dans l’attente de ce moment, il s’amusait à chaque pause avec la petite guillotine qu’il avait fait installer pour l’occasion près de la scène et dont le bruit sec arrachait des cris de terreur au conclave recueilli et studieux de fausses nonnes, précipitant leur fuite en coulisse dans un vol épars de colombes effrayées.