Benoît Artige | Figures libres, Régina Zylberberg

Quand le soir vient, elle peut enfin ouvrir les yeux sans craindre de se blesser à la rugosité des choses. De plein jour, la violence est toute autre : elle l’a appris trop jeune pour ne pas s’en souvenir, l’adolescence écrasée sous une lumière crue, d’un jaune dégueulasse. Elle s’est toujours promis d’échapper à cette lumière et pour cela de faire de l’obscurité son royaume – elle a pris à deux mains la couronne que personne ne lui tendait pour se la mettre sur la tête et aussitôt l’obscurité est devenue soyeuse et capiteuse : libre, enfin. Enfant, elle dansait jusqu’à se sentir défaillir, mais c’était pour mieux défier la peur, elle tournait et riait, comme s’il fallait s’échapper : de qui, de quoi ? Désormais, elle peut danser et rire sans retenir son souffle : la nuit est son armure et son armée ceux qui dansent avec elle. Forte en gueule, elle tient tête et mène son monde. Elle a les goûts de la petite fille qu’elle n’a jamais été : ça doit briller, ça brille, et ne jamais s’interrompre, le déhanché des corps, la musique trop forte qui rend ivre et heureux. Elle danse et fait danser jusqu’au tout petit jour, sans envie de dormir et les yeux grands ouverts : c’est à ce seul prix sans doute que la vie est douce. Elle se doit ça, elle doit ça aussi à ceux qui ne veulent pas, comme elle, s’écorcher sur des matinées hérissées de soleil. Elle s’agace d’être considérée comme la sainte patronne des abandonnés du sommeil. La petite fille s’agace aussi vite qu’elle a le rire facile. C’est qu’elle ne transige pas : se jouer de la nuit est un métier sérieux.

16 février 2025
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