Benoît Artige | La chambre antique du camérier

Entrons. Un panonceau annonce “la chambre antique du camérier” : on s’attendrait à une alcôve, un boudoir, mais c’est plutôt une salle du trône, une salle de bal ou de banquet (dans ce palais papal, toutes les proportions sont faussées ; il n’y a qu’à voir les cuisines, de quoi faire à manger pour un régiment ou un conclave). Et puis, c’est qui, c’est quoi, un camérier ? Le pendant masculin de la camériste (vous savez la craintive Irma qui suit la Castafiore comme son ombre) ? Quelqu’un qui garde la chambre ? Au sens propre ou au figuré ? Figaro ou Oblomov ?
Nous voilà informés, mais pas plus avancés. Le panonceau précise : autrefois la chambre était divisée par des cloisons et y étaient conservés dans des coffres des trésors et des objets précieux. On a beau écarquiller les yeux, on ne voit ni restes de cloisons, ni coffres, ni lit. En revanche, les traces abondent, s’entremêlent et se recouvrent : murs tatoués, fresques à moitié effacées, portes condamnées, ouvertures désormais closes, pavés descellés et abandonnés au sol, trous, corniches – et ce plafond qui vaut, pour l’insomniaque, ciel sur le point d’être crevé par l’orage. Qui aurait envie de dormir dans une chambre pareille ? A moins de vouloir vivre une nuit peuplée de signes effrayants. Le camérier serait-il le seul animal à pouvoir se contenter en tout lieu d’un lit de fortune et y jouir d’un sommeil de plomb ?
Nous avançons avec la curiosité des profanateurs de nécropole, mais un cordon de sécurité nous retient : de toute façon, qu’y a-t-il à voir de plus que le vide de ce désastre composite ? Sur une vaste ouverture obturée, une main a gravé “LA PLACE” ; au-dessus d’une porte, elle aussi murée, une autre main a écrit : “DONNER”. Injonction que l’on complètera comme on veut, tout est à compléter ici, abandonné à la fortune des siècles – comme dans les songes, les images ne s’expliquent pas d’emblée, elles existent absolument. On pourrait y lire un gigantesque rébus qui serait une invitation à déposer nos rêves comme autant de pavés descellés, à imaginer ce qui se cache derrière les portes closes, à dessiner sur les hauteurs des murs des combinaisons de lignes folles.
Chambre forte et chambre d’échos, chambrée ou chambre à soi, camera obscura baignée de lumière, pièce de paradoxes : l’espace est vide, mais les images bouillonnent et faute de sens on cherche au plus profond de soi ce que ce trop de traces veut dire (serait-ce une leçon de l’antique ? Les chambres pompéiennes provoquent-elles le même émoi ?). On se risquerait presque à mettre un peu d’ordre dans tout ça et ses idées au clair, épousseter pour s’alléger du poids du temps ; arpenter la salle de long en large, fureter dans les coins, tout passer au peigne fin ; contempler ou ranger, contempler en rangeant (sagesse de philosophe ?). A force, on finirait par prendre la place vacante du camérier.