Climax. Benoît Vincent
Général assidu de ses frontières.
Mais l’Empire est plus grand.
Mais l’Empire est bien trop grand.
Abstract. Existe-t-il une relation (la caractériser) entre l’édification du mur d’Hadrien (120 ap. Lui), la cartographie (Table de Peutinger), la composition d’une prairie calcicole (Festuco-Brometea), les souvenirs d’un jardinier ou d’un soldat (GI), et la poésie (ce texte) ? La réponse est bien évidemment oui.
à Luc Garraud
Prologue
Il y a des étendues.
Il y a des étendues, et toujours derrière des étendues, d’autres étendues. Des étendues vertes et glauques et placides. On dirait de grandes toiles agitées par le vent. Ou des peaux frissonnant.
A cette hauteur on ne distingue aucun relief, aucun obstacle, aucun accroc dans ce beau tissu hésitant.
Sur ma carte, lorsque je compare l’une et l’autre étendue, je ne vois rien. Pas de différence.
Rien. Qu’une grande étendue.
Laquelle des deux, celle de la carte ou celle du monde traduit le plus fidèlement l’autre ?
*
Il y a ce que je porte sur les yeux et ce que je porte en ma mémoire. Je viens de milliers de kilomètres de là, envoyé ici pour je ne sais plus quelle raison.
Pour mettre du relief. Pour caler des repères, des points de repères. Global Positioning System, géoréférencer le site.
Lever une carte. Lever, ériger. Eriger un mur, une frontière. Construire la fin du monde.
Il y a ce que je porte sur les yeux et ce que j’emporte dans ma mémoire.
Je viens d’ailleurs, le plus ailleurs qui soit. Nous avons avancé, imperceptiblement, des jours durant. Des jours durant. Jusqu’ici : cette campagne.
Nos lignes ont avancé, insensiblement, de colline en colline, de plaine en montagne, bravant les cours d’eau, bravant l’inconnu, s’offrant à lui, abordant l’inconnu comme on aborde une femme, chérie, tu viens, on y va ?
*
Des étendues
*
Au début, rien. Il n’y a rien.
Ensuite il n’y a pas plus, mais le rien est plus épais. Plus consistant. Plus dense, plus pressant.
Et puis il y a tous ces pila dressés dans le ciel, tous ces épis chargés d’épillets. C’est l’armée.
L’armée qui ne signifie pas le vide à venir, mais au contraire l’armée qui annonce tout le reste.
Qui annonce le commerce, l’échange, le partage, le mélange, l’écriture, la culture, la civilisation, la liberté, l’égalité, l’armée qui est fraternité en avance sur la démocratie.
L’armée en avance. L’armée en avance.
La campagne.
*
Ce brin d’herbe qui cache la forêt.
*
Climax pourrait être le nom d’un soldat romain. Envoyé sur la bordure de l’Empire, à qui on demande de bâtir un mur.
Ce pourrait être le nom d’un programme européen de sauvegarde des habitats, qui sait ? Ou une exposition sur le réchauffement climatique. Ou une manufacture, comme Acme, par exemple.
Ce pourrait être un titre. Titre de roman, ou titre honorifique.
C’est un peu tout ça à la fois.
Climax c’est l’équilibre. C’est le moment ou tout peut basculer, mais pas encore tout à fait. C’est l’abord de l’asymptote. C’est la tangente. C’est le faîte. C’est le bon moment. C’est le point culminant, mais qui dure.
*
C’est la campagne qui avance.
*
C’est la campagne, qui avance. Les lignes, les épillets, les estocades, les arbres qu’on abat, les maisons de bois qu’on accole aux murailles de pierre nouvellement bâties, les incursions, et les excursions aussi. C’est le long travail d’acculturation.
C’est l’agriculture, la culture du champ, qui est d’abord un simple terrain, une étendue.
Un territoire autre, un ailleurs, une hétérotopie. Peuplée de, hantée de [serait plus juste] βάρϐαρος.
Ce sont les femmes qu’on viole.
Ce sont les chevaux, les chiens, les cieux balayés de nuages, comme peints à grands traits, sans le raffinement de “chez-nous”.
Ce sont les grande nostalgie qui poussent en avant, qui rendent plus acérée la lame, plus nombreux l’épillet, plus tenace le rhizome.
*
Que viens-tu faire, βάρϐαρος ? Que crois-tu apporter, κλίμακα ? Ta division de l’espace ? Ton vocabulaire ? Ton dictionnaire ? Tes scientifiques, tes mesures, tes inventaires ?
Tes clefs ?
Tu es celui qui pose les lignes.
Tu es la ligne.
Tu es le trait.
Sur la page blanche, le trait premier.
Sur la paroi, le trait primordial.
Tu es celui qui pose les lignes. Celui qui pose les lignes oppose. Divise. Tu es le diviseur. Ton vocabulaire est une arme de guerre. Tes pila, tes gladia, tes garnisons, tes legiones, la IX Hispana, XX Valeria Victrix et puis la II Augusta et la II Audiutrix, ce sont des chiffres, tes chiffres ce sont des lettre —comme tes mots sont des chiffres…
Tes mots, tes chiffres, sont des traits ; il te faut des traits pour les poser ; et il te faut des traits pour les justifier.
*
Terroir = territoire.
*
Habiter : tracer du pied des lignes sur le sol nu. Géoréférencer. Global Positioning System.Globalization. Google Earth. Un grand pas pour l’humanité : poser des repères sur du vide. Poser des points, tirer des lignes. Vectoriser l’ensemble. Rasteriser. Générale Identification. Global Information.
Informer, informer à tout prix. “Donner”, monter le dehors, tout le dehors. L’entièreté du dehors. Informer, donner les données, au prix même de l’intimité. Au prix même de l’individu. Généraliser. Générale Information.
I. d’où ?
Quel est le lieu ?
Le lieu est là où je dis.
Quel est le lieu où je dis ?
Il n’y pas de doute. Je dis. Il y a.
D’où est-ce que je parle ? Je parle d’où, je parle de où ?
Il n’y a pas de doute possible. Mais il y a la violence. La violence quand je parle.
La violence de la parole, c’est lorsque ce que je dis (et d’où je le dis), mime en répétant ce qui est. La violence de la parole c’est l’ontologie du langage, c’est l’ontologie (à l’œuvre) dans le langage.
Du langage à l’œuvre.
Qu’est-ce que du langage à l’œuvre ? C’est quand je dis “je”. Quand un dit je, il annexe un territoire.
Qu’est-ce qui m’épouvante dans le langage ? C’est quand un territoire devient je.
Je ne veux pas de je.
Je ne veux plus de je.
*
Soit un lieu neutre, une étendue. Une étendue inerme, inerte, un grande étendue indifférenciée. Une lande ou une prairie. Il n’y a pas d’arbre pour la soutenir. Pas de ville pour la contenir. C’est désert.
Et c’est vert.
Je traduis mon expérience qui est celle de l’apprentissage d’une langue.
Je ne dis pas que j’ai mieux connu le monde, l’étendue, la prairie, après.
La prairie, après.
Je ne dis pas que j’ai mieux connu le monde, l’étendue, la pierre, la paroi.
J’ai appris des mots, qui désignent des éléments de ce grand indifférencié. Je n’ai fait qu’ingurgiter du lexique, du dictionnaire.
Qu’est ce que je parle ?
*
Une langue étrangère.
Une langue peut-elle être étrangère ?
Qu’est-ce qu’un langue étrangère ? Il n’y a pas de langue étrangère. Il n’y a que la langue, il n’y a que l’étranger.
En disant, je n’ai jamais que reconnu le monde, l’étendue.
La prairie.
La campagne.
Dompté de haute lutte ce vocabulaire, ce lexique.
*
BROMUS•ERECTUS•HIERACIUM•PILOSELLA•BRIZA•MEDIA•ARABIS•HIRSUTA…
*
Cherché à comprendre : qui parle ? Qui parle ici ? Quel est l’étranger qui parle ici ? Et d’où parle-t-il ? Ici ? Là ? D’où ?
Avec patience, j’ai posé des différences, des piquets, comme on aligne des croix, comme on pose des chiffres romains sur une feuille ou des lettres grecques. Comme on aligne des pila. Comme on aligne des fétus.
Comme on ajoute des croix aux jours des prisons.
Comme on ajoute des croix sur les carlingues des vaisseaux.
Comme on jalonne la via de croix pour chaque βάρϐαρος arraché à sa vie, à sa terre, à son brouhaha indifférencié, à sa prairie, à sa campagne.
*
Connaître c’est reconnaître.
*
je languis pour
ma langue
*
Et si on s’arrête au langage, on en vient à oublier le lieu d’où
On en vient à effacer le lieu d’où
On ne regrette plus le lieu d’où
On s’installe. On campe. On creuse une tranchée et on attend. On attend de reconnaître, dans le brouillard, dans le vert glauque plein des rosées froides de la nuit le βάρϐαρος.
D’où
D’où
D’où
D’où
Jusqu’à ce que mort s’ensuive.
*
Que cherches-tu, βάρϐαρος ? Que cherches-tu à fuir, chez toi, toi qui ose parler ta langue devant moi ?
Quelle langue veux-tu affronter, en venant ?
Tu ne mérites pas que l’on t’écoute, car tu ne parle pas d’ici.
D’où parles-tu ? Quels sont ces poèmes que tu chantes, ces listes que tu ériges ? Ces murs dont tu rêves ?
Quel est ce feu sacré que tu préserves ? Quel est ce sang que tu me refuses ? Quel est ce sperme qui ne s’écoule pas ? Quelles sont ces larmes qui ne mouillent pas ?
Il faudrait sacrifier nos femmes à ton autel ? Nos terres à ton soc ? Nos chants à tes livres ?
Plutôt mourir.
Qui es-tu étranger derrière le mur ? Et pourquoi le bâtis-tu ? Ne vois-tu pas l’étendue sauvage, indifférenciée ?
Le grand brouhaha n’est-il pas plus touchant ?
Que crois-tu reconnaître dans ces herbes, et ces chaumes ? Dans ces ruminants maigres. Dans ses roches qui affleurent, pour te détourner de ton mur ?
Qui crois-tu venir ?
D’où veux-tu ?
D’où ?
Qui ?
Quoi ?
Annexe 1. Des pelouses partout
Des pelouses partout.
Des pelouses partout, en Europe, et qui attestent, de plus, d’une très ancienne présence humaine.
L’un courant venu des steppes de l’Est. L’autre venu de la Méditerranée. Se répartissent en Europe, partout.
Une pelouse est une formation végétale de faible hauteur, caractérisée par la présence évidente des graminées.
La famille des graminées ou poaceae (poacées) regroupe les espèces qu’on appelle indifféremment herbes (comme d’ailleurs on nomme leur formation prairies, indifféremment). Les espèces qui composent cette famille sont le plus souvent des annuelles ou vivaces, à tige cylindrique et creuse, le chaume.
La fleur des graminées est la plus simple qui soit. S’étant abstraite du recours au insectes, elle se passe de la couleur. Faisant confiance au vent, elle est réduite au minimum (en taille comme en composition). Les fleurs, ou épillets, se rassemblent en une inflorescence appelée épi.
Il y a près de 14000 espèce de graminées.
Les pelouses calcicoles, à Brome ou Fétuque, sont de vastes étendues composées en majorité de deux ou trois espèces. Le mot de Brome viendrait du nom grec de l’avoine. Le nom de Fétuque viendrait du nom latin du chaume.
Ces deux genres sont les plus répandus à la surface du continent européen, depuis les pelouses méditerranéennes ibériques ou italiennes, jusqu’aux îles britanniques, en passant par les pelouses continentales. La classe des pelouses calcicole est l’une des choses du monde les mieux partagées. On la nomme Festuco-Brometea du nom (latin) des deux espèces indicatrices que sont le Brome (par exemple Bromus erectus) et la Fétuque (par exemple Festuca arundinacea).
Ces pelouses illustrent ce qu’on appelle la phytosociologie, ou sociologie des plantes. Les plantes ne se répartissent pas au hasard, mais selon une moyenne très fine entre de nombreux différents facteurs parmi lesquels des facteurs géologique, climatiques, mais aussi écologiques, biologiques, et sans doute anthropiques, historiques, et pourquoi pas, non ?, épistémologiques et poétiques.
Les Festuco valesiacae-Brometea erecti ssp. erecti Braun-Blanquet & Tüxen em. Royer représentent les pelouses basophiles médioeuropéennes vivaces. Cette classe est constituée par deux courants floristiques qui correspondent à deux sous-classes phytosociologiques : l’un en provenance des zones sub/supraméditerranéennes (Ononido striatae-Bromenea erecti ssp. erecti Gaultier), l’autre en provenance des steppes continentales de l’Europe orientale (Stipo capillatae-Festucenea valesiacae Gaultier).
Philippe Julve, Communication personnelle
Les pelouses calcicoles sont un référent important de biodiversité. Elles sont reconnues comme un “habitat prioritaire” par l’Union européenne, et à ce titre, méritent d’être protégées. Elles sont l’un des habitats privilégiés du programme européen Natura 200. Elles sont une ressource presque inépuisable d’orchidées, de passereaux, d’insectes.
Les graminées ont un rôle économique, nutritionnel et social de premier ordre pour l’espèce humaine. Elles sont historiquement liées au pâturage, et donc à la sédentarisation.
L’homme habite son environnement ; il l’utilise et le transforme. Il n’y a qu’un pas pour admettre que la pelouse est liée à l’invention de l’écriture.
Nous observons une ligne, LIMESTONE GRASSLAND SURVEY, située à quelques encablures au sud de la frontière britannico-écossaise, sur lesquelles ont été signalés de nombreux habitats (SAC) Natura 2000 (distribution des SAC).
II. Pannonica
Qu’est ce que la Bretagne pour un citoyen de l’Empire Romain ? Le plus éloigné. Le plus lointain. Longius. Limes : la frontière.
Le bout du monde.
Celui qui arrive, après avoir traversé des provinces et des paysages, que ressent-il lorsqu’on l’installe là, où il n’y a rien, au milieu des pelouses ?
Des pelouses partout.
Pourtant…
Pourtant… quelque chose de familier, dans cet ailleurs indescriptible.
*
Installation
Se sédentariser, s’arrêter.
*
Habiter.
les piquets d’une tente qui accrocherait le commentaire au sol de l’œuvre
*
Qu’est-ce qu’un botaniste ? Quelqu’un qui part sur le terrain, rechercher des stations anciennes, faire des listes, lever des cartes ; on dit campagnes d’inventaires ;
Une carte géographique c’est une arme de guerre.
Une flore, qui recense les noms, un inventaire, c’est aussi un dictionnaire.
Nous voulons nous déplacer dans les clefs de détermination. Nous voulons des structures pour le monde.
Nous voulons les clefs du monde. Nous voulons une classification pour le monde.
*
Qu’est ce que la Bretagne ? Le plus loin, c’est-à-dire le moins près, le moins intérieur, le moins intime. C’est le dehors.
Le loin c’est le dehors.
Dompter le dehors, c’est habiter.
S’arrêter.
*
Arrêter le flux, arrêter la vague, arrêter la campagne.
*
Arrêter la progression. Se sédentariser. S’organiser.
*
Croître, croître à l’aveuglette, dans toutes les directions, se lever, ériger.
*
Croître vers le haut pour la lumière.
Croître vers le bas pour l’eau.
Croître en tous sens.
*
Croître vers les bords, vers toutes les frontières, croître vers tous les dehors.
*
S’étendre, s’épandre, et puis nouer, se ramifier, se multiplier. Marcotter.
*
Ecrire comme marcotter, écrire pour nouer, pour délier, écrire en tous sens.
*
Ecrire vers tous, écrire pour se perdre et se perdre dans l’écrire. Ecrire contre les noms. Croître contre les flores.
Ecrire pour ne plus nommer, écrire pour oublier, écrire pour l’amnésie, écrire pour l’anonymie, écrire pour l’indifférencié, écrire pour le neutre, écrire pour ne pas.
Ecrire contre le D’où. Ecrire contre le Je.
Donne-moi une feuille blanche et je la coloniserai. Même avec peu d’effort, même avec peu de moyens. Mousses. Lichens. Qu’est-ce qu’un botaniste ? Un collectionneur, et un
Donne-moi une feuille blanche et je la remplirai de mots. Donne-moi un terrain nu et je le remplirai de plantes. Donne-moi l’espace neutre et je le remplirai de murs. Donne-moi
poète. ne pas perdre le fil. Des lignes comme des stolons Un nomothète comme des racines qui s’installent Un cartographe comme en prévision du cet état d’équilibre Et un géographe comme un mur de pierres sèches patientant l’imminence Et un chef de campagne qui dispose de petits drapeaux sur ses cartes de l’invasion, l’inévitable de la percée Qui trace des lignes et dessine des polygones Les graminées sont des soldats, comme des pila qu’on dispose, dont on ne distingue pas le nombre Là Festuco-, la Bromo- agités par le vent
Nous voulons des clefs pour le monde. Car nous voulons verrouiller la maison (oikos).
Les points chauds ici, là, Noms de philosophes, noms de généraux, noms d’écrivains, noms de plantes Argyrolobe de Zanon Les trames vertes et bleues Et tout ceci n’a qu’une issue et la mort plane sur tout ceci, paraphe le tableau Le vent entraîne et derrière le brome c’est la lande, le rosier, le prunellier, ailleurs, le genêt ou le thym, plus loin, la forêt Des lignes, des fils qu’on tire, comme on déroule des histoires comme on noue des (illisibles) Et tout ceci n’a qu’un mot d’ordre et tout ceci n’a qu’un cri de ralliement La pelouse devient prairie et la prairie devient lande et la lande la friche, et la friche lisière, lisière / bois, bois / forêt Tout brome appelle son chêne. Tout soldat appelle son général. Tout homme appelle la mort. Derrière le brome le rosier, tapi, derrière le rosier, le chêne. La ville appelle le βάρϐαρος. Le mur appelle la ruine. La démocratie appelle la guerre. La civilisation appelle la terreur. Dispose des ligne. Dis le dedans, le de-
Je file la laine. Donne-moi une prairie et je te donnerai un pull-over. Donne-moi une raison de bâtir un mur, de lever une carte. Donne-moi une raison de réciter un poème, de compulser le dictionnaire. Donne-moi la raison de croître, de dresser un inventaire.
hors. Confronte. Pousse. Faire tousser la machine. Aligne. Les aventures d’une ligne. Non-aligne. Ecrire = pousser. Nommer = cartographier. Le botaniste égraine des litanies de mots. Le cartographe est l’architecte. L’architecte est le général. Pour du pouvoir. Le botaniste est le poète est l’architecte. La flore est le dictionnaire est la flore……………………
Annexe2. L’empire (h)adrien
L’empereur Publius Ælius Traianus Hadrianus (117-138) est connu pour avoir parcouru la plupart de son Empire et visité ses troupes. Issu lui-même de l’armée, il n’hésitait pas à partager leur sort, leur pitance et leur logis. Il vivait avec eux. Il vivait parmi eux.
et, quoiqu’il aimât mieux la paix que la guerre, il exerça les soldats, comme si la guerre était imminente, et leur apprit à supporter les fatigues et les privations : lui-même leur en donnait l’exemple, vivant en soldat au milieu d’eux, aimant à faire ses repas en plein air avec les aliments d’usage dans les camps, tels que le lard, le fromage, et une boisson mélangée d’eau et de vinaigre ; en cela, il suivait l’exemple de Scipion Émilien, de Metellus, et de Trajan, son père adoptif. Il donnait aux uns des récompenses, aux autres des distinctions honorifiques, pour les encourager à supporter ce qu’il y avait de pénible dans les travaux qu’il exigeait d’eux. Car il s’attacha à relever la discipline militaire que, depuis Auguste, la négligence des princes avait laissé tomber peu à peu.
Aelius Spartianus, Historia Augusta, X, trad. Fl. Legay
Cet empereur, dévoué à sa tâche, soucieux de ressaisir l’empire qui s’essoufflait un peu, surtout là, au plus loin, et comme l’empire c’est l’armée, montre l’exemple.
Il est généralissime, chef de toutes les armées. Il est pontifex•maximus, intercesseur des dieux sur la terre, il est caesa•augustus•imperator, il est tout cela, et il se mêle et partage au sein de l’armée.
Il meurt avec pour patronyme :
IMPERATOR•CAESAR•TRAIANVS•HADRIANVS•AVGVSTVS
PONTIFEX•MAXIMVS•TRIBVNICIAE•POTESTATIS
XXII, IMPERATOR•II, CONSVL•III, PATER•PATRIAE
Il n’est plus dans le genre, son titre le dépasse. Quelle est la tête d’un homme au soir, lorsqu’elle est couronnée de tels lauriers ?
Il est le général. Il parle même aux dieux.
Il est le facteur, celui dont on ne peut se passer. Celui qui permet le calcul.
Telle est l’armée à Rome : une rampe d’accès à l’immortalité. Un tremplin pour le silence.
Il dialogue avec l’indifférencié même. Il est. D’où. Il est je. Il. Est. Je. D’. Où. Il est capital. Son nom est l’empire lui-même.
Or en visite en Bretagne, cet empereur, futur dieu du panthéon romain, n’est pas encore le chantre, le fada, l’ahuri qui communique aux pierres.
Lors de son séjour, constatant que l’empire est à ce point immense, Hadrien décide de l’édification d’une grande muraille, qui séparera l’Empire de son au-delà, de son extérieur.
De son dehors.
De son silence.
De son étranger.
De son βάρϐαρος.
Ce mur, lui-même doué de parole et dénommé “mur d’Hadrien” serait la première manifestation physique du limes, de la limite, de la frontière, entre le monde civilisé, le monde Romain, et le monde βάρϐαρος (Restedumonde).
Ce prince, après avoir ainsi formé les troupes sur son modèle, se rendit dans la Bretagne, où il corrigea un grand nombre d’abus, et éleva le premier un mur de quatre-vingt mille pas de longueur, destiné à séparer les Romains d’avec les βάρϐαρος.
Aelius Spartianus, Historia Augusta, XI, trad. Th.Baudement
Cette démarcation, longue de presque 120 km, fut construite par les soldats eux-mêmes. Il est possible qu’Hadrien fût le premier à penser que la frontière devait être physique. Jusque là, il n’y avait que l’expansion. En fixant les limites boréales à l’Empire, Hadrien marqua le début de sa fin.
*
Il n’est pas impossible qu’Hadrien perdit son H initial.
*
On retient d’Hadrien une villa et le mur. Ce mur deviendrait parla suite la frontière entre l’Ecosse (les βάρϐαρος) et le Royaume-Uni. On dit que les légions en station à cet endroit (IX Hispanica, XX Valeria Victrix, II Adiutrix, II Augusta, en des temps divers) se mêlèrent avec les villageois qui profitèrent du mur comme d’une protection.
On ne se répartit jamais au hasard.
Certains soldats ont fondé des foyers à cette frontière, à la limite, comme d’autres fondent des colonies. De sorte qu’une partie du sang écossais vient de Rome.
Il y avait d’autres systèmes défensifs en des territoires périlleux : la frontière Rhin-Danube, et la frontière africaine. D’autres frontières, physiques ou naturelles, étaient éparpillés à chaque arrête du polygone.
La frontière installée, il ne restait plus aux Βάρϐαρος qu’à l’éventrer. C’était la première fois que l’Empire se décidait imperméable, alors qu’il était jusqu’ici ouvert aux influences externes.
Mais qui est Hadrien ? Un soldat, et d’où qu’il parle, on l’écoute.
Il éprouvait une véritable passion pour la chasse.
Adrien parcourt successivement les provinces, contrôlant tout ; sévérité du régime qu’il observe ; ses règlements sont devenus une loi dans l’armée, et les manœuvres auxquelles il exerçait les troupes contiennent les peuples étrangers, dont quelques-uns le prennent pour arbitre de leurs différends entre eux.
Lucius Claudius Cassius Dio Cocceianus, Historia romanae, LXIX, trad. E.Gros
III. Murs
Mur, du latin murus de même sens.
Bâtir un mur : séparer ;
bâtir un mur : diviser ;
bâtir un mur : enclore ;
bâtir un mur : exclure.
Je m’approche du mur, et avant même d’entrer en contact avec lui, mon regard est fermé.
C’est comme si le mur projetait hors de lui mon visage.
C’est comme si le mur me projetait un visage. Mon visage. Quel visage arbore un mur ? le mur est comme la mise au monde du fond de son âme, du fond de son œil.
Le mur est une peau successive.
ce que je ne peux séparer avec la peau de mon corps, mon plus grand organe, mon meilleur filtre et plus fiable senseur, je le sépare avec le vêtement, d’abord, puis avec le mur.
Je suis un oignon italien, planté en Bretagne.
Ces prairies sont pleines de bulbes. Je suis un bulbe.
je me couvre de pelures, et la dernière se nomme mur.
*
EME•SENS•MUR•DU•LATIN•MURUS•DE•MEME•SENS•MUR•DU•LATIN•MURUS•DE
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E•SENS•MUR•DU•LATIN•MURUS•DE•MEME•SENS•MUR•DU•LATIN•MURUS•DE•M
*
Andy Goldsworthy est écossais. Artiste d’une discipline qu’on appelle le land-art. Il bâtit des œuvres dans la nature, avec des éléments trouvés dans la nature. Des feuilles dispersées à la surface de l’eau ; des cairns ovoïdes, des branches liées entre elles traversant la matière ; des arbres de stalactites ; des parois d’argile et de cheveux.
Tout cela, pour Goldsworthy, relève d’une pratique essentielle, ontologique.
Il bâtit aussi des murs, sur des ruines édifiées jadis pour l’agriculture. Il élève à nouveau des pierres.
Il érige à nouveau des édifices.
En cela on peut dire qu’il relève la mémoire.
En cela on peut dire qu’il parle.
*
Antoine Emaz a écrit le texte appelé Poème du mur.
En ces quelques mots rares et choisis, il nous donne cette ténacité qui fait écrire : « On se demande parfois si, un jour, on arrivera à se libérer / de ce qui encombre depuis longtemps et dont on a jamais voulu, / quand on réfléchit bien. Mais qui reste là. »
*
Un mur en pierre sèche
revers de pelouse calcicole
là peuvent s’installer
lichens et les mousses
puis orpins, orpins
*
la campagne commence
et ce brin de chaume dissimule toute la forêt qu’il contient
*
Le limes est à la fois frontières, fin du monde, limite entre nous et le Restedumonde, et chemin. Toute frontière est à la fois ce qui unit et divise.
On connaît de nombreux autres murs de limes : le mur de Berlin, le mur des lamentations et le mur de la honte, la muraille de Chine, la frontière entre les Corées, celle entre le Mexique et les United States of Pax America.
C’est beau un mur, quand ça prend la lumière rasante et mordorée des soirs, ça découpe les ombres et les rayons, et ça met du relief. Un évènement.
Il faut voir que sans mur il n’y a rien à faire figurer sur une carte.
Une grande étendue vide de Bromion.
Un cadre blanc.
*
En 1999, en Ecosse, le plasticien Andy Goldsworthy bâtit sur les restes d’un mur agricole un second mur.
*
Un mur et s’installe la vie. D’abord les mousses, les lichens (SEDUM), la ruine-de-Rome (LINARIA).
SEDUM c’est le siège. Lorsque les Βάρϐαρος ont éventré les limes, ils mettent cap sur Rome dont ils font le siège — sedum, ruine-de-Rome.
Ils savent qu’on ne prend pas cette ville aussi facilement et demeurent plusieurs semaines sans agir.
Ils comprennent que leur arme, c’est le réseau d’eau. En le mettant à bas, ils assoiffent Rome et l’avilissent.
Envahir Rome devient alors une formalité, tous les murs tombent. Peut-être parmi eux l’un ou l’autre ressent ce que Borges disait de Droctulft, qu’il ne comprenait pas ni les gens, ni les bâtiments, ni les musiques et les arts exposés en ce musée, que c’était une autre ville, mais que cette autre ville le touchait au point qu’il se rallia à l’alors capitale et prit les armes contre ses compatriotes pour libérer la ville.
*
Nos masques servent aux nombreux de nous qui patientent, pilum à la main, devant l’horizon glauque, impatient, infini, incommensurable, indifférencié.
Annexe3. la poésie des plantes
Il y a une poésie des plantes, ou plus exactement une poésie des noms de plantes. Il y a une poésie botanique, une poétanique.
J’égraine, le soir, quand il n’y a plus le soleil qui les nourrit, le chapelet des mots des plantes.
Il y a une poésie du Festuco-Brometea.
Lire à voix haute à la manière d’une litanie :
RELEVE N° 6651428 Newcastle, Royaume-Uni
Du 28 juin 2009
Plantes discriminantes du relevé
FIM PD
50 33 LOTUS CORNICULATUS L. 1-6
44 29 SANGUISORBA MINOR SCOP. 1-6
42 26 THYMUS SERPYLLUM L. 1-6
44 25 BRACHYPODIUM PINNATUM ( 1-6
41 25 BROMUS ERECTUS HUDS. 1-6
38 22 HIERACIUM PILOSELLA L. 1-6
36 20 BRIZA MEDIA L. 1-6
38 19 PLANTAGO LANCEOLATA L. 1-6
35 18 ACHILLEA MILLEFOLIUM L. 1-6
33 17 HIPPOCREPIS COMOSA L. 1-6
30 14 SCABIOSA COLUMBARIA L. 1-5
29 14 ASPERULA CYNANCHICA (BA 1-6
30 13 FESTUCA OVINA L. 1-6
31 13 TEUCRIUM CHAMAEDRYS L. 1-6
27 12 POTENTILLA VERNA L. 1-5
27 11 EUPHORBIA CYPARISSIAS L 1-5
30 11 TRIFOLIUM PRATENSE L. 1-6
25 10 LINUM CATHARTICUM L. 1-5
25 10 RANUNCULUS BULBOSUS L. 1-6
25 9 HYPERICUM PERFORATUM L. 1-5
23 9 ROSTRARIA CRISTATA (L.) 1-5
23 8 ERYNGIUM CAMPESTRE L. 1-6
27 7 ANTHOXANTHUM ODORATUM L 1-6
21 7 HIERACIUM PILOSELLA L. 2-6
Plantes discriminantes absentes du relevé
CAREX GLAUCA MURR. 1-6
LOTUS CORNICULATUS L. 2-6
LEUCANTHEMUM VULGARE 1-6
DACTYLIS GLOMERATA L. 1-6
CIRSIUM ACAULE (L.) WEB 1-5
SANGUISORBA MINOR SCOP. 2-6
ANTHYLLIS VULNERARIA L. 1-5
GALIUM VERUM L. 1-5
LEONTODON HISPIDUS L. 1-5
Ita missa est.
IV. Sans titre
nous bâtissons des secrets sous forme de villes (< villa). ces secrets s’appellent mémoire.
général caesar•imperator•bromus•maximus, tes armées de pila sont prêtes
bromus•erectus•maximus, tu es notre architecte
tu es notre raison d’être
nous devons construire des
lieux familiers, où le peuple se sente chez lui,
où je me sente chez moi. L’empire tient dans une pièce,
nous construisons des villes pour que cette pièce soit introuvable.
*
— GENERAL IMPERATOR, vos troupes sont-elles prêtes ?
TOUS — AVE CAESAR MORITURI, etc. Sir ! yes, Sir !
*
Les bromes, leurs pila.
La campagne
*
Sur les travaux du futur mur d’(h)Adrien…
L’ARCHITEXTE — La même chose, deux visages. Peu s’en faut qu’une même chose présente deux visages, aie deux bouches, parle deux langues.
UN BROME — Milliers de mes, milliers de moi. Faire nombre. Faire poids. Etre le plus. Etre les plus. Toujours plus, toujours plus.
UN SOLDAT — Engagez-vous, rengagez-vous, vous verrez du pays.
LA CARTE — Tournez à gauche, tournez à droite
GENERALISSIME IMPERATOR — Eh bien, architecte, comment avancent les travaux ? Nous voulons être sûr que ce mur soit sûr. Nous voulons être sûr de ce mur.
LE MUR — Limes…
LA CARTE — A droite, puis tout droit. Bosquet. Hachure.
L’ARCHITEXTE — Nos hommes redoublent d’effort. Bientôt s’élèvera ici… d’ailleurs voyez les plans… nous avons ici le plan de masse, voyez l’ingéniosité de la circulation, l’adduction d’eau potable. Ah au fait il est possible que nous ayons à exproprier…
Βάρϐαρος — Il n’y a ici rien. Rien que puisse se figurer nos hôtes. Rien qui puisse les satisfaire, eux qui rêvent de riches champs de blés, de vaches grasses, de vignes et de lait. Nous n’avons qu’un peu de tourbe, et ces étendues glauques. Pourquoi venir contredire et maltraiter nos druides ? Exciter notre courroux ?
LE BROME — Milliers de. Que l’unité est le nombre, et le nombre (le plus grand possible) l’unité. Que les escaliers renversent les escaliers, et les campagnes les campagnes. Que 1000 fasse 1 et qu’1 derrière 1000.
LE BOTANISTE — Arabis hirsuta, Lotus corniculatus, Bromus, Bromus, Bromus.
GI — Que dit ta carte ? Ici il y a la terre, là il n’y en a plus.
LE MUR — C’est ce que je dis aussi.
LE SOLDAT — Et moi donc !
GI — Eh bien cela ne se peut !
LE BROME — Ce qui pousse ce qui pousse par milliers… Que 1000 donnent 1 seul et qu’1 seul donne 1000.
LE BOTANISTE — On peut raisonnablement identifier plusieurs groupement herbacées, structurés en mosaïque et principalement autour de l’accident du relief qui favorise l’installation d’espèces sciaphiles et mésohygroclines. Cette composition de successions d’habitats confère au site un fort gradient de diversité spécifique.
LE SOLDAT — Que dit ta carte ? Où sont nos ennemis ? Où sont les autres, et où sommes–nous et pourquoi sommes-nous ici ?
LE BOTANISTE — …
GI — Si tu n’es pas d’accord avec moi, alors cass’toi pauv’con. La pelouse calcicole, soit tu l’aimes, soit tu la quittes. Je suis ici pour que mon nom… Eh bien expropriez ! Expropriez moi ça, ça revient au même.
L’ARCHITEXTE — Nous… Quelque retard…
GI — Expropriez !
LE BOTANISTE — Mais nous sommes devant des habitats d’intérêt communautaire !
GI — Je suis la communauté !
LE BROME — Je suis la communauté.
LE MUR — Limes…
LE SOLDAT — Je suis la communauté.
GI — Et moi je suis le nom. Il faut que je sois le nom. Tous les noms.
LE BOTANISTE — Je…
GOLDSWORTHY — Est-ce que ça vaut la peine ?
GI — Qu’on m’appelle César, oui ; qu’on m’appelle Auguste, bien sûr. CAESAR•AUGUSTUS, soit. Mon nom doit devenir le blabla, le babil de toutes les bouches de l’Empire. C’est pourquoi il y a l’Empire, et c’est pourquoi il y faut des frontières. C’est pourquoi il y a des armées et pourquoi il y a des βάρϐαρος. C’est pourquoi il y faut un mur. C’est pourquoi il y a des armées, et c’est pourquoi il y a des langues.
GOLDSWORTHY — Il aurait fallu plus de temps.
GI — Je suis le temps.
GOLDSWORTHY — Et c’est pourquoi le temps met à bas, tout. Ruine tout, ronge, détruit, casse, brise, écroule, perce, perfore, découpe, engloutit, liquéfie, pulvérise, enterre, oublie, traduit, écrit tout.
GI — C’est pourquoi il y a Minerve sur nos cuirasses ; c’est pourquoi il y a des cuirasses. C’est pourquoi nous dissimulons les masques de nos pères dans les cubicula, c’est pourquoi nous érigeons Liber Pater à chaque carrefour de ta carte, Architecte, c’est pourquoi il y les esclaves et c’est pourquoi il y a l’eau courante, c’est pourquoi il y a le Cirque et l’Amphithéâtre et que c’est une belle construction.
LE SOLDAT — C’est pourquoi nous exportons…
L’ARCHITEXTE — … la démocratie
GOLDSWORTHY — Not worthy
Annexe 4. cartes
La Table de Peutinger (Tabula Peutingeriana ou Peutingeriana Tabula Itineraria), appelée aussi Carte des étapes de Castorius, est une copie du XIIIe siècle d’une ancienne carte romaine où figurent les routes et les villes principales de l’Empire…
Elle se présente sous la forme d’un long parchemin de 6,82 mètres par 0,34 mètres. Soit une surface de 2,3188m2. On y découvre 200000km de routes, ainsi que les villes importantes, les détails géophysiques. Le Proche-Orient, l’Inde, le Sri Lanka et la Chine sont indiqués.
Du fait de son format, la table n’a pas pour ambition de traduire fidèlement la réalité géographique de l’Empire, mais elle est l’expression d’un réseau, le réseau de communication constitué des voies romaines.
C’est l’une des premières, sinon la première, représentation ou conception d’un internet. Les distances sont indiquées, et sont, elles, exactes. Les points délimitant ces distances sont souvent des villes, mais plus souvent encore, des carrefours, comme des nœuds (ou liens) dans la toile.
Elle est probablement inspirée de la carte de Marcus Vipsanus Agrippa, ami du premier Empereur Auguste, et dont une reproduction en marbre a été placée sur le Porticus Vipsanae à quelques distances de l’Ara Pacis. Agrippa lui-même se retrouve dans la sarabande de l’Ara Pacis.
A ce titre on peut la considérer elle-même comme une Anastylose.
L’absence du reste des îles britanniques, de l’Espagne et du Portugal et de l’Ouest du Maroc semble indiquer qu’il existait un douzième feuillet — précisément celui qui nous serait utile ici-même.
Certains ont cru pouvoir imaginer cette portion à jamais perdue. On a écrit cette chimère : « Pour ce qui nous concerne, on y lit le mur d’Hadrien. Mais cette carte n’a jamais existé. On y voit les îles britanniques, la péninsule ibérique, les Açores, l’Ouest de l’Apfrique du Nord, mais c’est une spéculation, une reconstruction. Les distances ne sont pas indiquées. Les volumes, les proportions, sont le fruit de l’imagination. »
Il en va de même des odeurs, des voix, des silences, qu’on trouve dans toute scène historique.
Il en va de même pour tous. Nous sommes des personnages, agis par des pulsions qui nous dépassent. Nous sommes redevables et agis, nous sommes sacrifiés à ce prix, et nous en profitons pour exister. Certains en font des romans.
*
Nous bâtissons sur des chimères. Nous ne cherchons pas la vérité, nous cherchons à la confondre.
V.
Nous bâtissons sur des chimères. Nous ne cherchons pas la vérité, nous cherchons à la confondre.
Le mur d’Hadrien rassemble et confond Limestone grassland survey et Tabula Peutingeriana. Il est comme une réaction du corps contre l’agression extérieure. Il est aussi le symbole d’une friction de vie. Comme un eczéma à la surface d’une terre.
Ce en quoi il concentre des éléments biographiques, écologiques, historiques et poétiques.
*
Il y a des cartes, i.e. nous déployons un grand voile sur le monde, nous le mimons se l’appropriant.
S’approprier c’est dégénérer. Vivre c’est habiter. Habiter est notre instinct.
Explicit
par le jeu du Brome et de la Fétuque, on peut mieux comprendre ce qui pousse . . /
ce qui pousse les hommes . . /
ce qui pousse sur les hommes . . /
ce qui sépare l’Empire, aussi appelé PAXAUGUSTEA (PAXBRITTANICA, PAXAMERICANA) ou aujourd’hui DEMOCRATIE, du Restedumonde, aussi appelé BARBARUS, lui-même issu du grec ancien βάρϐαρος
ce qui sépare le monde celte, dont les druides et le druidisme
du monde méditerranéen macho-mama
— ce que traduit mal Europe —
la civilisation du terrorisme
ROMANIS•CUM•NATIONIBUS•POPULIS•REGIBUS•CUNCTIS•UNA•
ET•EA•VETUS•CAUSA•BELLANDI•EST•CUPIDO•PROFUNDA•IMPERII•ET•DIVITIARUM…………
il y a des citations dispersées, de Parham Shahrjerdi, Martin Rueff, Antoine Emaz, Bastien Gallet & Arno Bertina