« C’est leur éloignement avec le livre et l’écrit qui peut susciter une forme de défiance, pas le fait que l’auteur vienne de loin. »
Isabelle Thomain, professeur au lycée Galilée (Paris XIII), avait déjà évoqué, dans une précédente rubrique, la richesse de rencontre et de transmission offerts par la résidence de Makenzy Orcel.
Celle de Jean d’Amérique, qui a bien voulu, lui aussi, répondre à nos questions, lui fait suite. Elle explique, du point de vue du lycée, de la professeure, quel sens revêtent ces invitations à des auteurs, cet accueil-là de voix à la fois en partie étrangères (et francophones), et littéraires ?
« Qu’un auteur choisisse d’écrire en français, leur parle de toute les possibilités qu’offre cette langue et témoigne de son attachement à ses mots c’est très fort. »
Mais bien sûr avec le temps, je me suis rendue compte de l’écho supplémentaire que l’accueil d’un auteur à la voix à la fois étrangère et francophone donnait. Pour nos jeunes, qu’un auteur choisisse d’écrire en français, leur parle de toute les possibilités qu’offre cette langue et témoigne de son attachement à ses mots c’est très fort.
Comment présentez-vous, en général et aux jeunes du lycée, cette origine et de cet éloignement ? Et comment y répondent-ils ; quelle est la part préalable de “défiance” (ou méfiance), de curiosité, de désir ? Et qu’est-ce que la rencontre bouleverse, dans l’instant et dans la durée ?
Quant à Haïti j’en parle peu préférant laisser à ceux qui y ont grandi le soin de raconter. Ce qui bouleverse nos élèves c’est le sentiment de vérité, d’avoir face à eux quelqu’un qui leur parle avec franchise, honnêteté et surtout respect et intérêt. Lorsqu’à l’occasion de la première rencontre de l’année, Jean a expliqué que la poésie l’avait sauvé... j’ai mesuré à quel point cela semblait littéralement incompréhensible à mes élèves. Et puis avec le temps, le plaisir d’écrire vient ; ils y trouvent un sens, une utilité et je crois qu’ils comprennent mieux aujourd’hui l’histoire de Jean.
Pour le lycée ces résidences sont une bouffée d’oxygène, la preuve qu’il faut s’ouvrir au monde pour mieux apprendre, mieux comprendre. Enseigner n’a pas de sens si ce n’est qu’un entre soi. Ma responsabilité c’est qu’ils trouvent leur place dans un monde bien plus large que leur établissement scolaire et qu’ils aient les moyens, les connaissances et l’esprit critique suffisants pour se faire entendre et devenir acteur de la société dans laquelle ils évolueront,
Ces projets sont basés sur l’échange et donc forcément porté par l’inattendu. Les humeurs de chacun influent aussi beaucoup sur le travail mené. Parfois les élèves se braquent, refusent, ne jouent pas le jeu. C’est comme ça ! Il ne faut jamais oublier que ce sont des adolescents.
Mais le plus grand bouleversement c’est en fait au bout de quelques séances, de les voir écrire puis partager leurs textes à voix haute avec une qualité d’écoute incroyable.
Makenzy et Jean sont très différents. Les groupes avec lesquels ils travaillent aussi et pourtant la magie a opéré les deux fois. Je ne préfère pas trop m’interroger sur le pourquoi, juste profiter de ces moments précieux au cours desquels on découvre nos élèves autant qu’ils se révèlent.
Lorsqu’ils découvrent qu’ils sont capable d’écrire, d’écrire de la poésie ils sont très surpris et un peu déstabilisés. Ils partent persuadés d’échouer et tout notre travail consiste à leur faire prendre conscience de leurs capacités. Ils vont apprendre à se faire confiance.