Christophe Segas | Embrasser la rumeur
Abandonnons la chronique
pour embrasser la rumeur.
Réduits à l’état de bêtes
nous ingurgitons n’importe quel alcool.
Nous allons à la rencontre
de ceux qui ne respectent pas
les délais de rigueur avant l’introspection.
Avec la langue et l’esprit éthanol pour armes,
nous entrons où les heures se tiennent torves,
et contemplons l’eau vive sous la glace.
Les liens sont lâches
entre les événements et leurs reflets.
Nous voyageons loin de tout repère,
mesurant la distance parcourue
en nombres de séquences oniriques achevées.
Nous foulons une terre
où les fougères se répandent en silence.
Nous suivons des brisées malodorantes,
nous souffrons d’amnésies partielles et de regrets cuisants.
Le mal du pays durcit nos plexus,
notre exil se mue en cruauté.
Le départ était-il
une lâcheté ?
Une trahison ?
Une brume salée, visqueuse, nous enveloppe.
Nous distinguons à peine le compagnon qui nous précède.
De l’extérieur comme de l’intime
nous ne percevons que des parfums et des bruits -
poisson pourri et cendre froide,
sable humide qui crisse sous les pas,
et le rythme spectral des vagues.
Émane de nous la puanteur humide
des chiens de campagne.
Les hommes, non seulement,
mais les oiseaux et les rats se tiennent loin.
Nous nous demandons si nous ne sommes pas
les derniers survivants.
Le monde a-t-il fini sans nous ?