Cinéma de l’affect, de Sandra Moussempès

Jeu de plans, de séquences ou de scènes, dont on ne sait où il se situe exactement, Cinéma de l’affect de Sandra Moussempès déroule pour nous sa voix, qu’il nous est possible de suivre au travers d’une « déambulation […] à la croisée du son, du cinéma et du spiritisme ».

Une voix tremblante se fait d’abord entendre, qui « n’aide / pas à clarifier le propos » de ce récit « poétique », où la narratrice cherche à comprendre le fonctionnement de processus vocaux d’autant plus envoûtants, que quasi insolubles.

Rien n’est au point
Je me retrouve auditrice de sonorités aussi floues que
Des ectoplasmes

Evocation, plus loin, de l’arrière-grand-tante, Angelica Pandolfini, elle-même fantôme d’une voix dont la restitution — sa quête —, ne nous dira presque rien. Sa tessiture vocale demeurant, pour nous, comme une forme de « complément d’enquête » ; la narratrice devenue, au fil des pages, un lang(age) dont « tu » — l’adresse, l’appel — reste à lui seul « le dispositif sonore » :

Prosodie vocale : un diapason me prouve que tu es là engagé
Dans un nouvel espace plus propice à nos méditations
Corporelles

De ce « tu », qui semble échapper, difficile de dire s’il s’agit de la parente uniquement, Angelica, ou bien de l’être aimé — qui ne sera par ailleurs jamais nommé — transformant le sens de la scène jouée.

Plus qu’un témoignage, qu’il serait impossible à la narratrice de décrire, des voix semblent s’attirer et se compléter. Celle de « l’un qui veille sur l’autre » où l’un comme l’autre entretiennent une relation que « nous écoutons sans répit dans un microphone inversé — mouvement sans fin de balancier entre sortie et entrée — ». Celles des femmes qui crient facilement « sous des dehors respectables ». Celles des hommes, enfin, « feutrées sauf devant les matchs à la télé ».

« Ni mésange violette ni évolution karmique » entendait-on en boucle, dans le tube auditif qui conduisait jusqu’aux commissures de mes lèvres, par une ligne transversale venant de son cuir chevelu

C’est la partie sombre du film que j’ai préféré inventer plutôt que regarder, le son du présent s’accentue et les passages d’un plan à un autre s’évertuent à retracer la rupture phonique sans jamais y parvenir.

S’il fallait lire Cinéma de l’affect de Sandra Moussempès, c’est peut-être bien pour tenter de cerner au préalable tous ces « non-dits » qui imprègnent nos dires, nos « obsessions à peine chuchotées ».

Vertigineux de comprendre que le son de la voix est en fait
La charge mentale de son environnement intuitif

[…]

Je t’enregistre en train de prononcer les mots que nous
Écoutons dans la pénombre

Un peu comme il serait possible de tenter un déchiffrage spirite de nos « vies passées », au sein du vaste « Muséum des tessitures flottantes » où tout cela — « boîtier », « fatras de métal », « fragments de plaintes », et plus encore — pourrait nous apparaître comme véritable « clé psychique » d’une troublante étrangeté.

**

Extrait 1, Boucles de voix off pour film fantôme (p. 15) :

[…]

Mon jumeau était donc bien une pop star abritée sous
un nuage de bruits fantômes qu’on nommait acouphènes
ou dévolutions chamaniques — terreur de tout misophone
repenti —

La modernité des états d’âme lorsque nous construisons une
petite société, une cabane ou des solutions quotidiennes à nos
besoins, l’appareillage d’Edison, tout ce que nous pouvions
transformer en images mentales pour le musée des médiums
(Ne nous vient pas à l’esprit)

Tout serait devenu une voix unique dans un magasin dédié
aux boîtes vocales évidées « mémoires archivées de ce dont
personne ne se souvient »

**

Extrait 2, Je suis un langage dont tu es le dispositif sonore (p. 26) :

Il faut remonter très loin pour savoir que nos voix off
se rencontrent dans un trou noir puis se disloquent
— ou envahissent nos rêves —

Sur la bande-son nous entendons un souffle derrière nous
cela peut cadrer avec le ressenti d’une porte qui se referme
nous sommes les auditeurs de notre propre sidération

— la disparition du corps fantôme correspond à la présence
de ton souffle après que tu sois sorti de la pièce —

Sandra Moussempès
CINÉMA DE L’AFFECT
Éditions de l’Attente, 2019, 112 p. 13 €


Déborah Heissler

26 février 2020
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