Des moments partagés qui marquent durablement
Delphine Ya-Chee-Chan est professeure documentaliste au lycée Maurice-Utrillo de Stains (93).
Résidences au lycée Maurice-Utrillo de Stains :
– Thomas Mathieu 2017-2018
– Pedro Mancini 2018-2019
– Rutile 2021-2022
– Claire Latxague 2022-2023
– Lucie Vérot 2023-2024
Voilà la liste des résidences qui ont eu lieu au lycée Maurice-Utrillo. Evidemment, elle ne rend pas compte de ce que cela nous a réellement apporté professionnellement et humainement.
Je ne vais pas détailler toutes les anecdotes qui me viennent en tête, ce serait interminable et aussi passionnant que le monologue d’un parent qui s’extasie sur les photos de son enfant. Non : je préfère revenir sur chaque acteur de ce dispositif.
Commençons par l’auteur ou l’autrice : en me lançant dans les résidences, je n’avais pas compris à quel point c’était un coup de pouce financier conséquent.
Pedro Mancini est sans doute le meilleur exemple : c’est un auteur de BD Argentin. Lors de notre première entrevue, il m’explique qu’il n’y a pas de marché de la BD dans son pays et qu’il est donc obligé (comme tous les autres bédéastes argentins) de chercher à publier à l’international. Je m’étonne qu’il ne s’expatrie pas. « Une résidence peu longue dans un autre pays, un pays où la BD a une place, ça m’intéresserait, mais je ne veux pas faire ma vie ailleurs. »
Quelle satisfaction lorsqu’on peut participer à la réalisation d’un tel projet !
Nos interlocutrices à la Région m’ont dit un jour « La résidence est du côté des auteurs ». Ce n’est pas le côté où je me trouve, mais cela me va bien. Cela m’aide à comprendre l’attendu de ce dispositif.
A chaque rendez-vous dans le cadre de la résidence, j’ai une petite appréhension : « Et si on exploitait trop l’auteur ? Et si on ne faisait pas assez de choses ? »
A chaque rendez-vous dans le cadre de la résidence, j’ai été surprise par la bienveillance de nos interlocutrices.
C’est tellement agréable de travailler ainsi : en sachant que faire de son mieux, en pensant au bien de chacun, c’est bien. Et bien c’est suffisant.
Au lycée, les professeurs ont bien identifié le dispositif. Un intervenant extérieur qui entre dans la classe peut inquiéter les enseignants les moins aguerris. L’auteur en résidence n’est plus tout à fait un « extérieur ». L’équipe apprend à le connaître. On mange avec l’auteur à la cantine, on boit le café ensemble, on parle de son travail, de ses projets… Petit à petit, l’auteur trouve une place dans la salle des professeurs et dans les classes.
Je suis assez satisfaite de voir qu’il y a un vrai renouvellement des personnes qui travaillent avec la ou le résident.e.
Pour certains collègues, ces moments partagés vont marquer durablement leurs pratiques. Je pense à une enseignante qui envisageait de quitter l’Education nationale et qui a pris un immense plaisir à travailler avec Claire Latxague. La collègue a compris qu’elle aime mener en équipe des projets et cela a changé son rapport à son métier.
Les élèves n’ont sans doute pas tous identifié les auteurs en résidence. Nous sommes un établissement de plus de 1200 lycéens, donc cela ne m’affole pas. Je sais que les auteurs qui sont passés dans nos murs ont agit sur la vie de nos jeunes. Je repense :
– Aux séances du club dessin de Thomas Mathieu où les élèves ne savaient pas comment l’appeler : Thomas ? Mathieu ? M. Mathieu ? M. Thomas ?
– À Pedro Mancini qui, peu à l’aise avec le français, se présentait en dessinant sur le tableau de la salle devant des élèves scotchés par son talent.
– À l’élève qu’un enseignant ramène à Rutile pour parler d’écriture et de carrière littéraire.
– Aux enregistreurs audio où des élèves enregistraient leurs créations, oubliant dans leur fièvre créatrice Claire Latxague à côté d’eux qui veille au fonctionnement des appareils.
– Aux répétitions pour la fête de fin de résidence de Lucie Vérot où les élèves lui criaient de sortir car ils voulaient lui faire la surprise de ce qu’ils allaient lui montrer.
Bon finalement, j’ai étalé quelques anecdotes… C’était inévitable.
Moi ? Dernière actrice du dispositif au lycée. Je coordonne la candidature. J’accueille l’auteur, je le présente aux enseignants, je mets à son service toutes les ressources à disposition. De là où je suis, j’observe.
Mon ego se gonfle à l’idée d’avoir joué un rôle dans ces rencontres magiques auxquelles j’assiste.
J’ai hâte de voir la prochaine résidence qu’on accueillera : des collègues sont venues me voir car elles avaient déjà des idées.