Ecrire, 2
L’enfant que je fus a détesté apprendre à écrire.
Je suis à ce point vieux que mon apprentissage est passé par le porte-plume, le pot d’encre en verre encastré dans le bureau et le papier buvard. Mais c’est moins ceci qui m’a rebuté que le temps qui m’était imparti. J’étais lent. Peut-être trop jeune ou trop minutieux, mais lent, très lent, ce qui, je m’en souviens, a dès l’origine gâché mon rapport à l’écriture. Je ne pouvais écrire à mon rythme et puisqu’il fallait me presser, je me salissais, je salissais mes cahiers, mon bureau, mes vêtements. En conséquence, même lorsque la classe était finie, je gardais toujours sur moi les stigmates de mes ratés. Je ne pouvais raisonnablement pas être fier de mes cahiers, qui n’étaient qu’une constellation de taches sous lesquelles on distinguait à peine des lettres laides et balbutiantes. Je ne suscitais que moqueries de mes camarades et qu’exaspération de ma maîtresse. Seule ma mère, à l’écriture parfaite, était indulgente.
L’année d’après, celle du CE1, nous sommes passés au stylo à plume aux cartouches intégrées. Il n’y avait plus les plumes à manier et le buvard devenait presque accessoire. Et pourtant je restais plus lent que mes camarades. Lors des dictées, je ne pensais qu’au temps qui filait et jamais à l’opération magique que j’effectuais, tracer des mots sur du papier, et encore moins à l’orthographe. Et toujours, dans le fond de ma trousse, une cartouche éclatait et donnait à l’écriture, mon écriture, un goût amer.
Je ne crois pas avoir eu le droit d’utiliser un stylo-bille avant le CM1. Je pensais arriver à rendre belles mes lettres minuscules ou majuscules. Mais encore une fois mon espérance fut déçue. Le stylo à bille ne me permit pas d’écrire plus vite ou moins salement. Quand je me pressais, l’encre formait ici ou là des grumeaux sur lesquels ma main glissait, transformant mon propre en brouillon. Et même lorsque je m’appliquais, mes lettres n’avaient jamais la belle régularité de celles de mes camarades auxquels immanquablement on me comparait. J’étais, concernant l’écriture, le repoussoir, l’exemple à ne pas suivre.
La même année, celle du stylo-bille, ma maîtresse a renoncé. Ma lenteur l’exaspérait plus que ma maladresse et elle m’a autorisé à écrire en détachant les lettres, ce qui était à tous formellement interdit. Cela me délivra de ma lenteur. Au bout de quelques semaines, j’écrivais aussi vite que les autres. Mais cela m’enferma aussi, et définitivement, dans une écriture manuscrite d’une rare laideur, que je déchiffre à peine, tant je ne l’aime pas. Je suis incapable, aujourd’hui encore, d’accorder la moindre valeur poétique à des mots que j’écris à la main. Et écrivant de moins en moins, je m’aperçois que j’écris de plus en plus mal.