Ecrire, 3
Enfant je n’écrivais pas seulement mal, avec des lettres sales et de guingois, mais ce que j’écrivais ruisselait de fautes d’orthographe ou plutôt d’accord. Je me souviens avec humiliation de toutes mes dictées d’élémentaire, de mes cahiers raturés de rouge, de mes notes ridicules. À ma lenteur d’écriture s’ajoutait donc mon incapacité à conjuguer correctement. Je n’avais presque pas de problèmes avec les noms communs, il me suffisait de les rencontrer une ou deux fois pour les connaitre, mais les verbes étaient mes ennemis. Pourquoi ? je ne l’ai jamais compris, comme je ne comprenais pas les règles que ma mère, professeure de français, me réapprenait le soir et que j’oubliais aussitôt. Je pouvais (et je peux encore) me concentrer et parvenir à mettre un « s » à la deuxième personne du singulier, mais dans le feu de l’action, pressé par le temps ou par l’enjeu (qui me paralyse toujours), je l’oublie et je tremble si fort qu’aujourd’hui encore je n’envoie pas de courrier officiel sans l’avoir fait relire. Les mots qu’à l’oral je maitrisais à merveille dans l’exercice de la récitation, me narguaient et me blessaient dans celui de l’écriture. J’ai employé dès le début de ces textes sur l’écriture le mot souffrance et il n’est pas trop fort pour décrire ce qui s’est construit durant mes années d’apprentissage. Le stylo et la grammaire me heurtaient jusqu’à me rebuter, et je n’ai au final trouvé de solution que dans cette écriture au tracé fantasque, où nul ni moi ne reconnait les lettres et qui, pour embarrassante qu’elle soit, recèle au moins une qualité, celle de dissimuler dans sa laideur quelques-unes de mes fautes de français.