éros-phyton

Et c’est en effet dans le fabuleux et surprenant monde végétal que nous emmène ce livre. Il faut fréquenter bois et sous-bois, friches, versants montagneux, coteaux abrupts, chemins ombragés ou vallées fertiles, flâner longuement, poser ses yeux au ras du sol, se documenter, se familiariser avec les noms et surnoms des plantes, fleurs, arbres, arbustes et champignons pour pouvoir décrire, écrire et rendre compte du foisonnement et des vies multiples (souvent invisibles) qui peuplent ce monde.
Ce parcours initiatique, Maya Vitalia a dû l’effectuer à maintes reprises. Il lui restait à restituer ses découvertes et à s’inventer une écriture pour les porter vers les autres. C’est ce qu’elle fait avec éros-phyton, son premier livre, long poème en strophes-paliers où transparaît son plaisir de manier les mots avec la même ardeur que celle qu’elle déploie pour parler des plantes.
« parmi le pourpier oblong, lisse, luisant, aux minuscules
fleurs à l’aisselle – qui aime
les cimetières ensoleillés
parmi les succulentes imberbes, char
nues, grasse de la feuille – la Crassulacée juteuse à peau de gre
nouille gicle entre 2 ongles »
Elle sait le vocabulaire facétieux ou ambivalent et prouve ici que si les mots peuvent aisément jouer avec elle, l’inverse est également vrai. Elle les coupe, découpe, détache leurs syllabes, en soustrait des greffons, s’adonne aux boutures, insuffle une rythmique particulière à ses vers afin de donner plus de vigueur à ce grimoire magique destiné à celles / ceux qui désirent en apprendre un peu plus sur les secrets, les légendes et la sensualité des végétaux répertoriés.
« Inhale avec prudence l’a
mère fumeterre en décoction ou fiel de terre – idem la pulmonaire
: sauge de Jérusalem (qui purifie
les voies biliaires, tels bourrache, cresson et mor
elle douce-amère »
ou
« Taquine un tremble, ou bien
un peuplier à pétioles flexibles ; son écorce lisse est parsemée
de lenticelles en los
ange, crevassée avec l’âge »
ou alors
« Chauffe ton squelette au bois de chêne chevelu et chenu
rustique doucier de la demi-ombre,
la cupule de son gland s’horripile de trichomes »
Elle se fait guide, délivre conseils et remèdes, convoque Virgile et Pline l’Ancien, Arthur Rimbaud et Anne Sexton, salue Clément Rosset ("cher ivrogne ou mon drôle de prof") et le musicien Daniel Charles ("mon bien-aimé prof à pensée musicale"), regarde vivre, se frôler, se toucher, s’épanouir plantes et fleurs, s’approche de la ciguë et du chiendent, du "cerfeuil des fous" et de "la garance voyageuse". Tout ce qui vibre l’attire dans l’univers botanique qui a des millénaires derrière lui et qui reste (frivole et sensuel) en constante effervescence.
« Réfugie-toi, sinon, sous la verge d’un tel
poirier ou Beurré Hardy
ou Bon Chrétien »
Ces végétaux l’intriguent et la fascinent. Elle les observe et découvre leurs secrets, leurs fragrances, leurs couleurs, leurs mouvements. Ici frémit la rose "cuisse de nymphe", là-bas l’églantier ("gratte-cul"), plus loin "le nombril de Vénus" et plus loin encore "la verge-d’or à l’épi grossier". Il y a du beau monde là où elle flâne. Et du beau monde aussi dans l’index placé à la fin de son livre. On y croise Dante Alighieri, Denis Roche, Emily Dickinson, Gilles Deleuze, Henri Michaux... éros-phyton est également un éloge de la lenteur. Maya Vitalia a pris son temps (de 2013 à 2025) pour amener à bon port (jusqu’aux belles éditions les murmurations) les 142 pages de ce très riche herbier qui déborde de vitalité.
Maya Vitalia : éros-phyton, éditions les murmurations.