François Durif | Comme des mouches
Comme si j’étais réticent à mettre en ligne la captation vidéo de la performance du 26 juin dernier, qui était censée clore en beauté la résidence d’écrivain au Générateur. Ce n’est pas non plus sans quelque réticence que je l’ai revue. Je ne sais quelle mouche m’avait piqué ce soir-là. Les portes du Générateur étaient grandes ouvertes, l’air circulait, c’était orageux, les gens allaient et venaient, ils avaient besoin de picoler, et moi, sur mon tapis de jeu, j’ai démarré tout seul, en me faisant à l’idée que je n’allais pas les alpaguer comme ça. C’était la réouverture du Générateur après les mois de confinement, je venais de repeindre les murs, j’avais aussi tenu à faire la signalétique, je m’étais bien fatigué les jours précédents, afin d’avoir à composer avec cette fatigue le soir de la performance. Le tort que j’ai eu, c’est que j’avais trop bu, ça s’entend, surtout au début.
Finalement, je ne sors pas du manège, je m’en rends compte, n’en sors pas, me débrouille mal avec le matériau autobiographique : je le hache menu, n’en restitue que des bribes, on n’y comprend rien, je commence des trucs, je ne les finis pas. La veille, avec Jean-Luc, nous avions fait un filage qui était bien plus réussi que ce que j’ai produit ce soir-là. L’intention première, c’était de mêler le récit du plâtrier à celui du croquemort, je voulais faire se rencontrer ces deux figures, tisser des liens entre les deux, partir de moments vécus et de moments parlés, trouver une parenté entre ces deux gars-là, dire quelque chose de leur réalité respective, en faire des formes qui, à la fin, se superposent, et pour cela, m’aider du tapis d’écriture déroulé au pied des murs du Générateur. Faire des sauts, des coupes. Mais non. Rien de cela n’a eu lieu.
C’est sur un autre tapis que je suis parti, sans décoller vraiment. À un moment, le ciel m’est tombé sur la tête, juste après avoir diffusé un fragment du discours de Macron au monde de la culture daté du 13 avril dernier : j’avais pris soin de le transcrire, parce que je le trouvais halluciné, hallucinant : comment il nous parle, celui-là, comment il peut être à ce point exalté, à ce point déconnecté des réalités des artistes qui morflent comme c’est pas permis et il n’a rien d’autre à leur proposer que le récit de Robinson – son souci d’aller chercher du jambon, du fromage, au fond de la cale. Donc, ce soir-là, j’étais en colère, aussi en colère contre moi, le pétrin dans lequel je m’étais mis, le piège que je m’étais tendu, le panneau dans lequel je me voyais tomber au ralenti, alors que toutes les conditions étaient réunies pour qu’advienne une parole autre, Jean-Luc était là pour m’accompagner dans la venue de celle-ci, je n’en ai rien fait, j’en ai fait de la bouillie.
Les deux séquences que je sauverais de cette performance, ce sont celles de la deuxième partie : celle où, à l’aide d’un carton découpé, je relate ce qui se joue lors d’un enterrement, quel est mon rôle, quels sont les gestes des uns et des autres, quelle est ma place en tant que maître de cérémonie. Et puis, cette autre, où je me confesse tout en passant la serpillière, parce que la fatigue se fait ressentir, la tonalité change, même si nous avions prévu que je l’étire au maximum, sans parler. Autant, lors de la performance du 26 février dernier, je m’étais senti porté par quelque chose, autant le 26 juin dernier, j’ai eu le sentiment de ne pas sortir de la ronde des pensées en boucle : plus je parlais, plus j’étais seul avec mon bazar, je n’étais pas en mesure d’accueillir et la mouche et le hasard. Pas présent à ce que j’avais sous les yeux. Comme si j’avais tourné le dos au lieu.
Tout est affaire de tempo. Quand ce dernier n’est pas le bon au départ, après, c’est difficile d’en sortir : parler, ça devient de la mélasse. J’aurais mieux fait de passer la serpillière en m’appuyant sur les sons produits par Jean-Luc, m’en tenir à une partition minimale.
Nous sortions du confinement, je n’ai pas attendu que la soupape chuchote, j’ai démarré trop tôt, ce n’est pas comme si c’était une cérémonie, ce n’est pas comme si je n’avais pas bu, etc. La prochaine fois, je m’abstiendrai de boire, je ne boirai pas de vodka, je ne repeindrai pas les murs, je ne jouerai pas au croquemort, je ferai mon maximum pour être là. Sans forcer le trait.