Gaëlle Sariols | Le secret



Le secret
Il la tenait fermement dans sa paume ouverte sur l’infini. Il voulait connaître le mystère qu’elle gardait dans son sein, le silence qui battait dans son ventre. Il avait pour cela, creusé la matière et sa chair. Il avait pris une cuiller, grande comme un ravin et il avait formé des alvéoles qui ouvrait des plaies béantes dans l’air jeune.
Il cherchait dans sa peau la raison du sang et la cause du mouvement.
Il cherchait l’énigme du vide, cet endroit qui lui aurait expliqué où se terraient les lieux.
Il cherchait ce qui était un bout de peau.
Il voulait une marque, un bleu, poser son doigt là. Il voulait qu’elle lui dise que c’était ça. Son corps était un mystère dont il n’arrivait pas à percer le jour. Il disait : est-ce que c’est là ? Est-ce enfin ce lieu que l’on cherche ?
Et elle restait muette comme un arbre, bien décidée à garder pour elle le souvenir du secret qui battait à l’endroit même où tout disparaissait.

*

Le lieu
Et il lui demanda, réellement : où es-tu ?
Après tous ces efforts, il s’aperçut que de la douleur naissait le désert, il compris que le monde était fragile, qu’il épaississait dans la vase. Il eut un sursaut qui venait du lieu où luttaient les roches.
Et après de longues hésitations, il la regarda en face. Elle glissa alors dans les choses, se rappelant soudain que ses cellules avaient été terre avant d’être champ. Sous sa paume battaient les glaciers en disparition, des nids dans des plis guettant l’ouverture. Elle attendait d’un trou qu’il se manifeste, qu’il évoque le passé minéral des géants.
Et lui pointait son nombril d’un air ahuri, après avoir découvert la douceur.  

*

Le manque
Des heures s’écoulèrent dans ce lieu que ni l’un ni l’autre ne parvenaient à saisir. Il avançait à tâtons et elle aussi, découvrant par hasard le toucher du pétale. L’angle d’un cil, caché dans le rayon, avait la forme exacte d’une boucle sur une lèvre.
C’était maintenant elle qui cherchait sa présence, l’endroit où son désir était tapi. Le jour surgissait dans les rainures du bois, l’élan était en germe dans l’écorce et le courage battait dans le cercle. Elle cherchait son souffle dans les creux. Et quand elle le trouva, le prit à pleines mains, les ongles tournés vers le soleil. 

*

L’attente
Elle attendait un regard qui aurait fait battre ses cils. Elle était tournée vers lui quand il ouvrait grand les mains et que ses gestes formaient des boucles dans l’espace confiné. Mais il y avait encore un mouvement en germe qu’il ne parvenait pas à atteindre dans cette chambre qui donnait sur le ciel. Et dans ce vide, elle luttait avec la contradiction des lignes alors que lui les enroulait une à une autour de ses doigts, cherchant la couleur.
Le sursaut qu’elle désirait se terrait dans les ombres et il soupçonnait le jour de déchiffrer son visage. Il avait cru discerner un écho au fond d’une flaque, mais ce n’était qu’un reflet qui refusait l’épaisseur. La résonance leur échappait dans ce reste de présence. Un battement se fit entendre entre leurs dents affûtées et soudain l’espace résonna encore un peu et la porte prit la forme d’une forêt.

*

L’équilibre
Il y avait dans l’air une hésitation qui était aussi un péril. Tout s’ouvrait vers l’infini sans trêve, sans demander leur avis, comme des grottes qui étaient aussi des mâchoires. Le lierre lui-même ne savait plus où aller, différentes directions s’ouvraient comme s’il était possible de saisir la matière qui pourtant leur échappait sans cesse. Par ici ou par là, les lieux se défilaient, refusaient l’étendue. Pour indiquer l’endroit, il fallait revenir au mouvement qui rappelait le sourire du temps dans l’écharde plantée.
Mais il y avait ce tremblement qui dessinait des brèches dans l’air jeune. Il fallait résoudre ces grandes bouches ouvertes pour qu’elles cessent de tressauter en se jetant dans le vide qui espaçait les cellules. Il fallait se souvenir de la somme des pétales. Et les bras se désarticulaient dans tous les lieux, demandaient à la lune un brin de sel pour faire trembler la surface, pour corrompre le sol. Il y avait dans chaque point l’élan d’un déséquilibre, la promesse d’une bascule et ce n’est qu’au moment du choix que ça se mit à trembler. 

*

Le choix
Alors, elle écarta la décision. Elle agrandit autant qu’elle le pouvait les possibles, elle creusa les équivoques dans la matière, jusqu’à être certaine de ne plus pouvoir avancer, de rester coincée entre tous ces chemins qui s’enroulaient autour d’elle comme de longues lianes.
Et lui choisit de rester là, au croisement de l’espace et du temps, comme s’il n’y avait aucune condition nécessaire pour exister, aucun mouvement à faire. Et dans ces ombres bruyantes qui n’étaient que secousses, une voix qui était un choix qui était un lieu apparut et, avec lui, un bruissement : celui de la fraîcheur et de l’évidence.

26 juin 2024
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