Ilias Borgor | Articles



Les soirées profondes

Finie la comédie : ce drôle et attendrissant personnage s’est achevé en beuglant, quatre-vingts appels par jour en moyenne. Sa légèreté et ses mensonges étaient devenus insupportables. Il est mort intoxiqué àpetit feu. Au même endroit, un être sensitif fait volte-face et offre son obole àla demoiselle qui balance généreusement les hanches en s’acharnant sur le sud. Double réalité accoudée au comptoir, l’eau ou l’enfer pour une même soif.

Voyages pathologiques

Les tremblements de terre donnent parfois naissance àdes cités insoucieuses où la mort est un mythe qu’on étend comme un dais au-dessus des toits rouges. Elles savent que leur jumelle pourrit ou couve quelque part au creux d’une faille oubliée. Elles se plient dans l’océan pour rapporter de son sommeil la houle exsangue du nadir et lui faire battre longuement les môles téméraires où n’abordent plus que des vaisseaux fantômes.
On habite là-bas sur la pointe du seuil. Le visage enfoncé peu àpeu de l’autre côté du mur, de l’autre côté de l’air, devenu àjamais le regard bleu des ruines avivées par le ciel. Et dans les rues que dévore le glaive minuscule des herbes aux quatre vents, chacun efface derrière soi les traces de son émeute.
Les hommes de là-bas ont accroché leur mémoire au bord des pierres d’attente. Les uns se consument en dansant, terrassés par l’ivresse des soirs de moisson. Les autres s’éteignent simplement, sans rien dire, en voyant venir le jour. Mais au moment de respirer la fumée qui les effacera, tous se disent : « Â J’erre vers l’Ève de mes rêves  ».
« Â Comment peut-on être trop jeune dans l’expression de ses plaisirs ?  » C’est la question que leur rétorquent les yeux fermés des femmes, longues fiancées perdues au bal des cheveux enlacés par la brise.


Les petites richesses de la campagne

Dans nos régions sauvagement assassinées pour illustrer des paysages souvent imaginaires, la pomme de terre et le porc, mais aussi les céréales, les châtaignes et les raves, se mettaient, dit-on, au service des puissants pour les aider dans leurs sombres manigances contre le quotidien de la population laborieuse (une pittoresque entreprise matrimoniale, soit dit en passant). Cette canaille de nourriture donnait enfin libre cours àsa hargne en empoisonnant les provinces, en interrompant les généalogies, en renvoyant les pauvres chez leurs ancêtres logés aux tables tournantes. Que d’études savantes et plaisantes, que de subtiles contorsions pour couper, ramasser, retourner, ligaturer, assaisonner avec le parfum des voyageurs de l’au-delàle goà»t des lèvres au lard, des fricassées de tripes et des os en gelée ! Comme quoi, dans l’univers historique, la reconnaissance du ventre, convivialité et simplicité, c’est àse tordre de rire.


Lenteur

Cette nuit-là, àregarder les météores effarer les étoiles, nos cheveux et nos cils se sont blanchis pour toujours. Depuis, déchu pour avoir trop brà»lé, le ciel se donne en spectacle puis s’enfuit. J’ai beau crier c’est l’ombre qui résonne et seuls mes yeux se voient. Je suis le premier sur la route de l’invasion.


Forger sa couronne

En un instant le mystère fut inondé, les états d’âme abattus au pied du château. Alors cet animal horrible que l’œil altéré des sages, en guise d’honnête passe-temps, avait chargé de vivre splendidement et fort au-dessus de son espèce, prit la parole : « Â Certains héritent pour avoir aimé, certains possèdent àforce d’usurper ; je vous défie de discerner les uns des autres. Mais je jure sur la veine qui roule sous mes griffes que rien n’est plus vrai ni plus admirable que le procès d’apostasie àma gueule imputé. Puisqu’il ne sert àrien de se défendre, qu’au moins je laisse parler en moi l’icône fraîche où vous m’avez trouvé…  »
Après sa glissade, rien ne surnagea de lui. Il resterait pourtant àessuyer tous les matins, sur la joue des soldats fidèles àla mort comme l’insecte àsa lumière, une sueur impérieuse où trépignait l’effroi.


D’une encre figée

Chair àfÅ“tus, bébé momifié, avortement clandestin, chaque mot de la genèse doit être pris au pied de la lettre. Car c’est en vain qu’on y chercherait ce goà»t délicat pour l’aube qui est l’apanage des plus nobles couchants, cette manière inimitable de tenir, après une promenade ensoleillée, une conversation qui empêche la pluie de faire sa réapparition.
Heureusement, grâce àla violence et àla cynique négligence de nos donateurs, nous comptons bien, en moins de trente-cinq ans, éradiquer la médecine, faire survivre les crises àtous ceux qui ont besoin de soutien ou de confiance, et voir si de cette ritournelle il émergera d’autres hommes, des hommes plus vagues, des hommes aux frontières ravagées, des hommes-scions prêts àtoutes les greffes.
Ainsi naîtra l’arbre de soif, armé de sève combustible.

Astuces du jour et de la nuit

Porte le masque àtravers lequel les autres voudraient voir.

Il fourbit trop ses armes, celui qui ne va jamais au combat.

Arrêtez-vous aux portes de l’empire de la mort, retournez-vous, souriez et aimez.

Non àla justice oui àl’ordalie.

Tu n’auras jamais la grâce enfoiré.

Si c’est ici que vous attendez la mer vous vous êtes sà»rement trompé de sable.

Laissez-vous donc aller àvotre petite apocalypse.

Le hasard est truqué !

Il y a toujours un pervers dans l’immeuble d’en face. Si tu ne l’y vois point, c’est qu’il sévit chez toi.

Miracle : l’ensevelissement des chevaux de l’utile.

Par bonheur il reste encore l’exil.

Dormir, jouir, sublimes anarchies insulaires.

Mais où est-il passé, le temps des anonymes ?

Morts de la mort du danger.

Sémillant

Bizarre cosaque, ta chevauchée venue s’échouer aux rives de l’océan s’en allait-elle àla rencontre du soleil qui te brà»lait depuis l’enfance ?
Comme si
tu voulais
enrayer
le déclin
d’une vie
aveuglée

23 avril 2021
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