Jérémy Liron | J - comme jeu, moi et les autres
« L’autre est un jeu ».
JL
Liron : Synon. vieilli ou région. (Centre et Ouest de la France) de lérot. (Dict. xixes., Quillet 1965, Lar. Lang. fr.).
Prononc. et Orth. : [liʀ ɔ ̃]. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist. 1552 (Rabelais, Quart Livre, éd. R. Marichal, LIX, 89). Mot dial. tout particulièrement du Centre (Berry) et de l’Ouest (Bretagne, Maine, Touraine et Saintonge) ; cf. FEW t. 4, p. 155a. Dér. du dial. lir « loir » (cf. FEW t. 4, p. 154b), du lat. glīs, glīris « id. » (v. loir) ; suff. -on*. Liron est attesté une 1refois en a. prov. (xiiies., Inventaire des Archives communales de Narbonne ds Fagniez t. 1, p. 331) et survit encore en prov. mod. (v. Mistral, s.v. liroun). On trouve également la forme gliron en m. fr. et jusqu’au xviies. (v. FEW, t. 4, p. 155a). Bbg. Sain. Sources t. 3 1972 [1930], p. 162.
Je me souviens avoir acheté un livre une fois simplement parce que son auteur était un homonyme de mon beau-frère. Je lui avais peut-être d’abord envoyé une photo du présentoir avec une légende ironique dans le genre : « alors comme ça tu écris des livres en cachette… ». Et puis j’avais eu une curiosité pour ce déjà presque familier. Je m’étais laissé aller au jeu des coïncidences et je l’avais acheté. Le livre par ailleurs était plutôt bien, j’avais apprécié son style et en avait fait une brève recension sur mon blog, ce qui nous avait valu de rentrer en contact, mon faux beau-frère et moi, et échanger brièvement. J’étais à vrai dire assez admiratif de ce qui était, je crois me souvenir, un premier roman.
Une autre fois, témoignant du fait que l’on programme en soi des sortes d’alertes mentales, j’avais de la même manière acheté un livre de vulgarisation sur la préhistoire, dont le sujet m’intéressait, mais qui s’était extrait de la confusion des tables d’une librairie parmi les autres livres qui auraient pu nourrir ma curiosité du fait que son auteur était un homonyme d’un autre dont j’étais proche et que je lisais fidèlement. Il a depuis rejoint la liste des achats compulsifs, furtivement feuilletés, qui attendent leur heure et se font continuellement griller la politesse, avec ceux que l’on achète pour leur titre ou leur couverture.
J’ai évité de faire de ces coïncidences un guide pour mes compulsions et si j’ai continué d’acheter des livres pour des raisons bizarres, celles-ci ont varié et sont restées généralement en rapport avec leur contenu ; quoique les titres soient parfois menteurs. N’empêche, nous aimons les indices, les échos, ces signes faibles qui font que nous nous sentons déjà concernés avant d’avoir vérifié quoique ce soit ; du seul fait d’un mot.
L’histoire qui nous concerne, à l’instar de la distinction que faisait l’artiste Marcel Duchamp entre les « ready made », objets promus au rang d’œuvre d’art par appropriation et déplacement symbolique, et les « ready made aidés », consistant en des assemblages à l’exemple de la roue de bicyclette retournée sur un tabouret, relève plutôt de la seconde catégorie, l’homonymie n’étant que partielle. Bref, c’est par un petit ajustement, par approximation, forçant un peu la chose, que l’évènement advient. Elle est à verser à la liste des Liron écrivains, dans laquelle on retrouve à vol d’oiseau un Christophe Liron (un oncle), une Mireille Liron, une Marie-Thérèse Liron, un Jean Liron (spécialiste d’aviation), un Yannick Liron, poète. Telle liste étant évidemment nullement exhaustive et changeant régulièrement selon les algorithmes. L’amusant, pour le dernier, étant que je compte dans ma famille un homonyme exact parmi mes oncles. Et donc, prononcer son nom consiste à me faire venir à l’idée tout à la fois l’un et l’autre. Et lorsque l’on me parle du poète Yannick Liron, demandant s’il existe entre nous un lien de parenté, c’est le visage de mon oncle aveyronnais qui vient se coller là dans le regard qui se fait mentalement, vaguement interrogateur. Mais non, je n’ai jamais rencontré Yannick Liron, le poète, ni ne l’ai lu assidument.
Je pense au travail qu’a fait le plasticien Édouard Levé en relevant dans l’annuaire d’illustres inconnus portant les nom et prénom d’artistes célèbres, jouant du hiatus entre les portraits qu’il faisait d’eux et le monde exotique que les patronymes ne pouvaient empêcher de susciter chez les amateurs d’art. Ainsi recensait-il avec humour quelques anonymes célèbres. Ainsi les morts étaient ressuscités, les héros descendaient parmi les mortels. On imagine que certains s’en amusaient aussi, comme dans le film Camping, Franck Dubosc joue avec le nom de son personnage, Chirac, précisant immédiatement « l’autre » dans un effet de logique paradoxale qui lie la réalité et la fiction. C’est le cas dans un film comme Ocean’s Twelve dans lequel Julia Roberts joue le rôle de Tess, laquelle joue occasionnellement le rôle de l’actrice Julia Roberts avant d’être démasquée parce qu’elle ne lui ressemble pas tout à fait. Mais il n’échappait pas à Levé qu’il puisse être difficile de vivre dans l’ombre et la lumière d’une figure illustre. Alors que le nom est ce qui identifie et individualise, l’homonymie surgit comme une faille, un double fond, une ironie critique et même un vertige ou un malaise. Pour qui s’appelle comme un autre, s’insinue par son nom en lui quelque chose d’un corps étranger. Se sent-on dédoublé ou dépossédé ? Ou l’un et l’autre simultanément, alternativement ?
Mais, revenons à l’autre.
Artiste débutant, mettant en ligne mon premier site Internet grâce à l’aide du beau-frère au nom de primo-romancier, j’avais pu le vérifier par moi-même et par une simple recherche Google. Systématiquement, tapant mon nom dans la barre de recherche pour vérifier la qualité du référencement, m’était répondu : « essayez plutôt Jeremy Irons ». Difficile de se faire un nom. C’est vrai pour ceux que l’on appelle les « fils » ou « filles de ». C’est vrai aussi lorsqu’un acteur ou un rugbyman entretient un rapport de proximité orthographique avec votre patronyme. La notoriété comme le nombre de vues sous une vidéo Youtube a valeur de référence. Il y a Paris et, indifférenciées, les villes de moindre importance constituant sa banlieue.
A peine ai-je écrit Jérémy qu’il m’est suggéré
Frérot
Ferrari
Jacquet
Galvan
Olivier
Aujourd’hui, taper Liron sur un moteur de recherche fait ressortir la frimousse d’un rongeur pratiquant l’hibernation, apparenté au lérot ou au loir (« dormir como un liron »), un spécialiste de l’injonction automobile (liron.fr) situé dans le Lubéron, un défenseur de Bézier, un mont Cévenol, une couleuvre d’Esculape, quelques acteurs d’origine israélienne (Liron – qui peut également s’écrire Lirone - est un prénom d’origine hébraïque, est-il précisé, dont la popularité ces dernières 25 années est stable), un écrivain et un artiste.
Je recopie tel quel : « L’histoire a connu des Liron célèbres, parmi lesquels on trouve Liron Cohen (joueuse de basket-ball, née en 1982), Liron Zarko (footballeur, né en 1981), Liron Basis (footballeur, né en 1974), Liron Diamant (footballeur, né en 1980) ou encore Liron Vilner (footballeur, né en 1979). » Ce qui indique que statistiquement, le ballon est pour les Liron un facteur déterminant.
Comme il n’y a pas dans le calendrier de saint associé à ce prénom, il semble que l’on peut souhaiter ma fête, notre fête, le jour de la Toussaint, 1er novembre de chaque année. Par ailleurs, la Sainte Jérémie se souhaite le 1er mai. Ce qui m’importe assez peu, n’ayant l’habitude ni de fêter ni d’être fêté.
Taper Liron sur Google ouvre aux suggestions suivantes :
Scrabble
Définition
Prénom
Injection
Serpent
Passer en recherche image fait apparaitre à côté du mien et de photos de rongeurs le portrait d’Olivier Liron, auteur d’Einstein le sexe et moi.
Nous nous sommes questionnés d’ailleurs, Olivier Liron et moi, curieux de savoir si une parentèle commune nous rattachait d’une manière ou d’une autre et d’après laquelle nous pourrions dire que nous étions de la même famille. Mais il semblerait que non. Lui il est de Paris. Né à Melun je crois. Moi, né à Marseille, j’ai grandi dans le Var, au bord de la mer. Et si du côté de ma mère, avant Marseille il y a la Corse, et avant la Corse, l’Italie, du côté paternel c’est l’Aveyron ; le Sud-Ouest donc.
Lui, par sa mère, Maria Nieves, à laquelle il a consacré un livre, c’est l’Espagne et l’exil. Mais comme il se faisait encore à l’époque où nous sommes nés (et c’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui, quoique les femmes conservent parfois leur « nom de jeune fille ») de donner aux enfants le nom du père, ce Liron dont il a hérité a sans doute d’autres origines, d’autres détours que celui que j’ai touché (quoiqu’il ne soit pas inconcevable que deux émigrés espagnols se rencontrent à Paris). Dans son livre, je ne me souviens pas que la figure du père prenne quelque part plus de consistance que celle des silhouettes floues d’un arrière-plan. Et l’Olivier du livre, s’il partage plus qu’un nom avec celui de la couverture, séjourne chez ses grands-parents en Bretagne. Son Liron à lui serait breton ?
De mon côté, des cousins plus ou moins éloignés ont entrepris de faire l’arbre généalogique de notre ancêtre commun, un certain Ernest, dont la vie je crois, court sur une partie du XIXe siècle. Ce serait de lui (est-on remonté plus avant ?) et d’une série de progénitures mâles que je tiendrais mon nom. Du côté de ma mère, c’est à l’occasion de « cousinades » corses que nous avons pu déployer le long d’un mur la descendance de deux émigrés italiens toscans du nom de Motroni qui ont demandé sur le tard pour leurs enfants la nationalité française. On s’étonne au vu de ces deux ascendances méditerranéennes de ce que j’ai hérité d’un teint pâle et de cheveux blonds tirant sur le blanc dans ma première enfance. Du côté paternel les garçons ont plutôt le cheveux brun foncé et bouclé des métèques et des arabes. On dira même à voix basse que certaines parentèles du nom de Bénézich pourraient d’abord avoir pu s’écrire en deux mots, insinuant qu’au Sud des Pyrénées il y a l’Espagne et déjà presque la rive nord-africaine de la Méditerranée. De l’autre côté tous les italiens ne sont pas mats et sombres, et ma mère me dit se souvenir que le père de son père arborait le blond clair que l’on voit assez représenté dans certaines régions d’Italie du nord. Il aura suffi que certains gènes dits récessifs se soit renforcés au contact de ceux du Nord-Pas-de-Calais ; ma grand-mère maternelle, authentique marseillaise dans l’attitude comme dans l’accent, l’étant devenue du fait de l’immigration de son père après la guerre.
Enfin, il y a toutes sortes de façons de faire famille. Et on ne le décide pas toujours. Un nom, un prénom vous sont donnés. Vous appartenez à une certaine génération. Vous êtes d’une région, d’un pays. Ce sont tout autant de données pour le motif d’équations. Il y a peu, plusieurs expositions ont insinué que je faisais parti des jeunes peintres figuratifs français. On doit bientôt me tirer le portrait pour cela. Est-ce que je m’y reconnaitrais ?
Addenda :
« Caractère : On dit de Liron qu’il est une personne passionnée. Liron est souvent en quête de calme, et, étant de nature déterminée, il se révèle aussi audacieux. Fiable et loyal, Liron peut aussi se montrer facilement irritable. Avec lui, les objectifs fixés seront atteints, parce qu’il n’a pas peur de se lancer dans des défis jusqu’à ce qu’ils soient atteints. Enfant, Liron n’aime pas la frustration et se réjouit de faire des activités physiques, par exemple. En effet, il faut qu’il soit stimulé de manière positive. Sa tendance à l’inflexibilité exige de l’inciter à communiquer ainsi qu’à être patient et indulgent. Il apprend ainsi à trouver son équilibre. »