Laurence Werner David | Le Guet
Journal d’une grossesse – la trame romanesque métaphore narrative pour « Faire vivre ce qui sépare ». Le bonheur acquis (« Laitance promise dans la rose mouillée », « Sillages lunaires », « Le silence ne pèse d’aucune sorte / de fatigue ») marqué d’une vieille, dévorante morsure au talon : « De cette fin qui / un jour / se dresse // nous voudrons (toujours) répondre en suppliciés. // Je rejoindrai alors / le vieux jardin de sable dans lequel / nos corps d’enfants ont tant joué ». Celui des Finzi-Contini peut-être.
Sur le temps d’une grossesse est calqué un autre temps, ancien et étrangement spatial, jusqu’à « surprendr[e] le bloc terreux et massif / surgir / tout entier ». À reprises questionneuses du texte même qui les engendre (« Il semble qu’ils n’aient jamais voulu expulser dehors / ce qui leur est le plus intime. Ils voudraient ? Ils n’aient pas voulu ? […] Ils […] le petit noyau d’hommes qui ne se sépare jamais. » Aux aguets d’un passé lourd de générations, remonte la perte d’un homme aimé, spécialiste du livre d’Hénoch, puis celle du père. Par vent d’Est, évoqué le mal être de l’adolescente, soufflent de « Katowice » entre splendeurs diffuses tous les miasmes attenants.
Le Guet de l’enfant à naître est aussi insomnie.
Un intermède en italiques, à l’encontre de ce qui traîne encore dans les arrière-cours de l’esprit, perçoit l’homme, le vivant, l’organique dans le cosmos des grandes vitesses comme « une esquisse de stabilité », l’inanimé plus mobile que l’animé. Du futur enfant, au cinquième mois une angoisse (« J’essuie les larmes du nouveau-né qui a été chassé du ventre de sa mère. / Sa nuque frêle comme flocon »), au septième le heurt d’une supposée « petite épaule », au suivant le pouls entendu rappellent qu’il est le thème du recueil.
À « l’étincelle de mercure de tes yeux », à « l’air de minuits natals » on comprend qu’en perçant les secrets de notre vie intra-utérine, « commencement / d’avant tous les / commencements », « cette chaleur accomplira seule l’alliance de l’ultime et du réel. »
Sur de justes mesures de mots simples tranchent des architectures déconstruites. La ponctuation de la prose et le déroulé à jours ou dévalant du poème, à double volée d’escalier de son perron natal, s’engrènent de substance vive. La poésie est violemment naturelle à Laurence Werner David, auteure connue de romans. Ses vers passent à la ligne. Passent la ligne de flottaison.
Lanskine, 56 p., 13 €, février 2020 (illustration en couverture d’Anne Paulus)
(1) Billet de C. S dans Terre à ciel, avril 2020