Le visage du mot : fils

« l’aurions-nous cru – tant d’années de distance – que j’eusse été père d’un fils ? », Thierry Le Pennec


Auteur d’une bonne douzaine de recueil de poèmes, Thierry Le Pennec écrit toujours au plus près de ce qu’il vit. Habitant dans un village des Côtes d’Armor, il est arboriculteur et passe la plupart de ses journées au verger, où il y a en permanence beaucoup à faire. Habituellement, il y travaille seul mais il arrive que son fils lui apporte son aide. Celle-ci s’avère alors aussi précieuse que sa présence au domicile familial. Et ça tombe bien puisque le voilà qui revient tout juste d’Allemagne en stop avec l’intention de rester deux semaines et demi sur place.

« Quand le fils est là le temps s’accélère »

C’est autour de lui que s’articule le livre. Par fragments, en une sorte de journal. Qui débute par sa naissance, vingt ans jour pour jour après la mort de Jimmy Hendrix (« il crie / sur ton ventre et déjà / semble interroger le monde ») pour se terminer au moment où le fils s’apprête à devenir père à son tour. Ce sont les années récentes qui sont ici évoquées. Celles où il revient périodiquement à la ferme, aidant son père à couper des branches fines, à clôturer le verger, à charrier du bois, à défricher ou à ramasser les premières « Reines des Reinettes » et celles aussi où il va prendre son envol.

« Aujourd’hui c’est un grand jour
pour le fils et sa compagne ils partent
en roulotte à cheval de la ferme
du Baden-Würtemberg où ils vivent
depuis deux ans ils
attellent pour l’Orient de l’Europe, ne savent
quand reviendront pas avant
d’avoir fait le tour d’eux-mêmes comme
à leur âge je fis. »

Bientôt, c’est en Autriche qu’ils cheminent et c’est là-bas aussi que père et mère vont les rejoindre, leur donner un peu de présence et de réconfort suite un accident qui vit les chevaux s’emballer après qu’un camion les eut doublé, les faisant tomber dans la rivière et blessant la Belle-Fille.
S’en suit un carnet de route où l’on lit le cheminement de l’équipage, les étapes, les faits quotidiens, les paysages traversés, les rencontres inopinées, les réflexions d’un père qui apprécie pleinement la simplicité et les subtilités d’une vie itinérante menée au rythme des chevaux.

« petit trot sur la route de Tulln – grande vallée mystérieuse, châteaux perchés, treilles, oiseaux – et maïs passé l’affluent à Traismauer – peintures naïves et pieuses sur maisons vigneronnes – à la grappe dédiée – bulbes en plein ciel découpées, comme déjà l’Orient – Byzance, l’influence – autos à toute vitesse – ab ! Ab ! Allez les enfants – le fils dirige les rênes, le fouet – l’arrivée des autres siècles en le nôtre – fou et fascinant »

Thierry Le Pennec décrit minutieusement ce qui s’offre à son regard et ce que cela lui rappelle. Son présent bouge tout autant que sa mémoire. Il s’ouvre naturellement, comme dans ses livres précédents, au monde et aux autres.
Quand il rentre en Bretagne, ses pensées suivent toujours la route du fils qui entre en Hongrie, poursuit son périple et ne reviendra que dans quelques mois. Pour aider à nouveau son père, continuer à tisser les liens qui les unissent, avant de repartir pour se poser enfin dans un lieu à lui.

« Cette fois ils partent
attellent pour la toute
dernière étape il y a
de l’émotion pour le fils qui quitte
symboliquement la maison de ses affaires
mises dans la roulotte nous sommes
désormais voisins à deux journées de cheval. »

Si la relation père-fils est parfois difficile et cause de tracas et de déconvenues, ce n’est pas le cas, bien au contraire, dans ce livre construit autour de la personnalité attachante d’un fils vu par un père qui revit, à travers lui, quelques-unes des aventures fondatrices de son ancienne jeunesse.


Thierry Le Pennec : Le visage du mot : fils, quatrième de couverture de Roger Lahu, éditions La Part Commune.

Jacques Josse

7 janvier 2024
T T+