Lettres à la Bien-aimée et autres poèmes de Thierry Metz

« Du bruit toute la journée. On ne sait pas ce qui se passe. Quelqu’un fait des gestes : il gagne son pain.
C’est tout. »
Ce livre, devenu culte pour beaucoup (Joseph Pontus, dans À la ligne, dit ce qu’il lui doit), aurait pu faire oublier ses ouvrages publiés avant et après mais tel n’a pas été le cas. L’écriture de Thierry Metz n’a jamais cessé d’être lue. Année après année, des éditeurs indépendants (Jacques Brémond, Opales/Pleine page, Unes, Les Deux-Siciles, L’arrière-pays, Pierre Mainard, Arfuyen) et des revues (notamment Résurrection – qui a édité ses premiers textes – et Diérèse – qui lui a consacré un important dossier – ) se sont relayés pour que ses poèmes continuent de vivre en rencontrant de nouveaux lecteurs. La publication, aujourd’hui, de ce conséquent volume dans la collection Poésie/Gallimard participe du même élan, de la même démarche : faire entendre et connaître une voix qui a beaucoup à nous dire.
Sont ici regroupés six recueils, dont le premier, Sur la table inventée (1989), où s’affirme déjà sa volonté de privilégier une écriture simple, sans artifice. Il s’agit d’aller à l’essentiel, de poser des mots sur ce qu’est – et sera – son cheminement poétique, qui ne déviera d’ailleurs jamais de son propre parcours de vie. Il entend construire un poème où l’on peut entrer ou sortir aisément et qui s’ouvre à la clarté et aux paysages. La similitude entre bâtir un poème et une maison est pour lui évidente. Le fait qu’il exerce une activité manuelle (bûcheron, manœuvre, maçon ou ouvrier agricole) n’y est pas pour rien. Choisir et aligner des vers courts et précis sur la page équivaut à monter des rangées de briques ou de pierres pour construire une demeure habitable.
« Tu sais que toujours
un parmi nous
s’absente
pour habiter sa clarté
sa langue
poète ou manœuvre
convives d’un mot
illuminé »
Chaque recueil est présenté par Isabelle Lévesque qui donne, en préface, des pages précieuses, sensibles et documentées. Lectrice éclairée, elle pénètre dans les chantiers d’écriture du poète en s’arrêtant sur chacune de ses publications. Elle retrace la chronologie des textes. Et montre combien tous s’articulent autour de la vie, du travail, des aspirations profondes à l’équilibre intérieur et à la constante quête de sens qui habitent le poète .
« Je vais par signes
espacés
avec la matière noire du livre
retourner la langue. »
En mai 1988, un drame va venir le percuter, lui et les siens. Ce jour-là, Vincent, le deuxième de ses trois fils, meurt fauché par une voiture sur la route qui passe devant la maison familiale. Rien ne pourra plus être comme avant. L’année suivante, Sur la table inventée sera "offert à Vincent".
L’enfant disparu reviendra régulièrement dans ses poèmes, tout près de la Bien-aimée à qui il écrit, durant un stage effectué afin d’obtenir son CAP de maçon, en 1994-1995, les textes qui seront regroupés dans Lettres à la Bien-aimée (Gallimard/L’Arpenteur, 1995).
" J’ai écrit ces lettres à Périgueux, pendant un stage de maçonnerie qui a duré neuf mois. Des passages plus que des lettres : la journée à l’atelier, la soirée dans la chambre, à cinq ou plus, les couloirs, les portes, un cahier sur une table. Un cahier que je donne à la Bien-aimée. Et à Vincent, notre fils, qui a été tué par une voiture le 20 mai 1988, dans ses huit ans.", Thierry.
« Une petite voix que nous connaissons bien nous rend visite le soir. Une voix d’enfant qui nous raconte ce qui se passe là-bas, comment sont les gens, ce qu’on y trouve. Lentement il nous berce, nous accompagne jusqu’au sommeil, nous ferme les yeux... »
Le dernier mot du livre sera : Vincent.
Et le premier vers du recueil suivant, Le drap déplié (1995) le portera à nouveau vers la Bien-aimée. Ces poèmes aux vers brefs, finement aiguisés, sont centrés autour de son activité de maçon (le seau, la corde, les outils, les gestes précis, les mains grandement sollicitées) et de sa vie d’homme en quête d’apaisement que l’oiseau, la feuille, le vent, les nuages (tous synonymes de légèreté) lui procurent parfois, sans toutefois parvenir à éteindre la douleur et la mélancolie qui couvent et le minent.
« En souriant
dans mes pas
je plonge dans le jour
je ne suis plus qu’une torche
dans la fraîcheur
je me consume »
Pas de pathos mais l’envie, la nécessité d’avancer, d’assumer ses fragilités.
« Je n’ai que ce trajet à bâtir.
Retrouver la mère et l’enfant.
En mourir, peut-être. »
Jusqu’au bout, il cherchera – en écrivant, en étudiant certains philosophes, en affinant sa réflexion, en s’adonnant à son travail – à s’inventer un chemin qu’il sait étroit mais qui peut l’aider à tenir, à se réapproprier sa vie, à s’éloigner de ses démons.
"Je dois tuer quelqu’un en moi, même si je ne sais pas trop comment m’y prendre", écrit-il en débutant L’homme qui penche, journal relatant deux séjours volontaires au Centre Hospitalier de Cadillac, en Gironde (octobre-novembre 1996 et janvier 1997) pour se sevrer de l’alcool, pour "redevenir un homme d’eau et de thé."
La souffrance l’emportera. Thierry Metz mettra fin à ses jours le 16 avril 1997. Il nous lègue sa poésie, ses cahiers, ses notes, ses journaux. Et, avec ce livre, des poèmes vibrants et fulgurants, écrits "dans le déchirement du langage et des choses" (Eric Vuillard), où transparaît "la part respirable des heures qu’il a traversées" (Jean Grosjean).
Thierry Metz : Lettres à la Bien-aimée et autres poèmes, préface d’Isabelle Lévesque, postface d’Eric Vuillard, Poésie/Gallimard.