Lire en peinture

Assises, allongées, alanguies, rêveuses, concentrées, épaule nue, en manteau, accoudées, de profil, de dos, de face, de trois quarts, dans des salons, des petits salons, des bureaux, des boudoirs, des chambres, à l’ombre d’un arbre, d’un parasol, sur des terrasses, des rebords de fenêtres, des canapés, des chaises, des fauteuils, des coiffeuses, dans des hamacs, au bord de l’eau, dans la pénombre ou en plein jour, seules, à deux, mères et enfants, avec une amie, avec une amante, en couverture du New Yorker, des « femmes lisant », blanches pour la plupart, ont été peintes en pleine lecture ou mimant le fait d’être plongées dans un livre.

Il est pourtant difficile d’imaginer que la lecture ait réellement eu lieu au moment où la ou le peintre s’affairait à représenter son modèle, car la temporalité du geste impose une suspension du temps qui, seule, fait advenir un portrait. Et avec elle toute lecture se suspend.

À moins que, penchées sur une même page pendant plusieurs heures, certaines femmes aient eu l’idée d’apprendre par cœur le texte qu’elles avaient sous les yeux — lisant, relisant encore et encore un même fragment immobile sur la page, prolongé seulement une fois celle-ci tournée.

14 février 2022
T T+