Traces d’exil

Le musée national de l’Histoire de l’Immigration, l’académie de Versailles et la Bibliothèque nationale de France ont initié du 12 au 17 janvier 2023 une formation continue pour les enseignants du second cycle sur le thème Traces d’exil - Écritures créatives et archives. Dans ce contexte les enseignants ont été invités à réfléchir aux conditions d’un bon usage des archives et à la question de l’exil comme fil rouge, étant entendu que bon nombre d’écrivains et intellectuels ont écrit et pensé l’exil. C’est dans ce contexte qu’il m’a été demandé d’animer un atelier d’écriture auprès des enseignants.
Les matinées étaient consacrées à la réflexion théorique et à l’information générale, visite du musée de la BNF par exemple et présentation de manuscrits – moment tout de même très puissant que de voir un manuscrit de Victor Hugo dont l’écriture bien connue (on en connaît tous les reproductions photographiques) s’étale en encre bien réelle sur papier bien réel ; les ratures (si peu, si peu) et les corrections (si peu si peu) en rendent le texte d’autant plus émouvant et le mouvement de la pensée de Victor Hugo prend une tout autre réalité.
Les après-midi se tenaient les ateliers d’écriture auxquels les enseignants se sont livrés avec engagement, timidité, réserve, amusement, concentration et sincérité. Pas facile de revenir sur ce qui nous a constitué, influencé, transformé ou sur ce que nous avons nous-même contribué à changer ; pas facile de sentir les traces d’exil qui sont en nous tous ; pas facile de revenir sur soi dans une grande introspection intime et collective.
Et pourtant tous ont réussi, que ce soit par le biais de la fiction d’un personnage fictif dont on s’étonne qu’il nous a volé tant de traits, que ce soit par la narration biographique, que ce soit par quelques phrases jetées çà et là qui feront sens plus tard quand on aura réussi à les lier.

Voici la présentation de l’atelier reçue par les enseignants en amont de leur participation.


Traces d’exil
Ou
Je suis la mémoire de ce dont je ne peux pas me souvenir.

Lors de ces après-midis d’écritures créatives, j’aimerais amener les participants à visiter leur histoire personnelle comme trace effective d’un exil inhérent à la condition humaine. Nous mettrons ainsi en perspective histoires individuelles et grande Histoire afin que, dans ce va-et-vient, se dégage la tonalité propre de l’exil de chacun.

Quand nous évoquons l’exil, nous pensons spontanément à l’exil politique, c’est-à-dire aux personnes quittant leur pays sous peine de représailles. Il y aurait à l’origine de l’exil une décision prise sous la contrainte et comme conséquence une séparation douloureuse, la perte d’un monde. L’exil est alors le mot de la douleur, une épreuve, une malédiction. L’exil, c’est l’inexorable dont il faut s’accommoder.
Et parfois une lueur au bout du chemin, le parcours de déracinement s’ouvrant sur un refuge, une libération ou une renaissance.
À l’exil, il y aurait ceux qui s’y font et ceux qui ne s’y feront jamais.
Et surtout, il y aurait ceux qui l’ont connu quand d’autres pas.

C’est cette binarité de la notion d’exil que j’aimerais alors interroger afin de le penser et le dire autrement. Notre travail consistera donc à prendre la notion d’exil à rebours, comme continuité plutôt que rupture. Puisque notre histoire personnelle est faite aussi du parcours de nos prédécesseurs, nous portons en nous leur exil, tout comme nous déroulons le nôtre pour autant que vivre, c’est s’exiler de façon continue : c’est perdre le monde que nous connaissions pour un monde que nous découvrons.

L’exil, c’est cette expérience singulière d’être parti sans être encore arrivé. C’est être en chemin vers. C’est la vie en cours de route : le moment d’avant, l’attente de l’après, un lieu plein d’ailleurs. C’est l’incapacité radicale du ici et maintenant. J’aimerais alors inviter à une phénoménologie de l’exil qui nous permette de l’envisager comme un processus fondamentalement inhérent à nos vies. Et penser l’exil à l’aune de l’histoire collective et de l’histoire personnelle, à l’aune du souvenir et de la mémoire. Pour autant que l’exil, c’est garder en soi les traces d’un monde lointain, inaccessible, disparu.

Ainsi – et pour en revenir à l’intitulé de cet atelier – c’est en tant que nous sommes des mémoires subtiles et imparfaites que nous portons des Traces d’exil, dont nous sommes ou non conscients. À charge pour nous de les restaurer, libre à nous de ne pas le faire.

Nous sommes des mémoires de ce dont nous ne pouvons pas nous souvenir, des mémoires à la fois vides et trop pleines, des mémoires travaillées par un exil qui biffe et accumule et récite une histoire à la fois vraisemblable et invraisemblable. Et celle-ci éclaire et modifie notre compréhension de celle-là, cette autre Histoire, la grande, tout aussi vraisemblable et invraisemblable.

J’inviterai les participants à frotter ces deux histoires l’une à l’autre, ces silex aux angles saillants, et gage qu’en surgira l’étincelle d’une lecture inattendue, inédite, surprenante et éclairante, de notre exil singulier et collectif.
Une lecture, une compréhension et une saisie du monde qui ne précèdent pas le moment de l’écriture.

Écritures créatives et archives – Traces d’exil
Jeudi 12 janvier, Musée national de l’histoire de l’immigration
Vendredi 13 janvier, Bibliothèque nationale de France – site Richelieu
Mardi 17 janvier, Archives départementales de l’Essonne

16 juin 2023
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