Marie Rouzin | Au cas où

j’ai attendu les martinets plusieurs jours
en regardant le ciel vide
j’imaginais un été sans cris
sans lames ni vitesse
le premier signe d’un effondrement général
juillet n’aurait été qu’une immobilité suante
une tête lourde tombée au sol
une prose fade aurait envahi l’air chaud
( construire des nichoirs sous les gouttières au cas où )
la collapsologie a très peu avancé parait-il
alors que des algues et des champignons
des bactéries inouïes comme des néologismes
font des progrès merveilleux
nous cherchons encore comment vivre
il ne s’agirait pas seulement de faire face
apprendre à disparaitre
sans qu’un événement nous jette par-dessous terre
venir au jour serait découvrir les odeurs humaines et non humaines
et le quitter faire une roulade dans la combe
sans laisser d’autre trace que des brins d’herbe sèche
à la fin de toute façon ce seront les bactéries et les champignons
qui gagnent
la catastrophe n’est pas un jouet rangé dans son panier
elle envahit les réseaux sans former de bulbe
silencieusement
à pas de loup
et ne cogne jamais les trois coups
dégager les calamités qui s’accumuleraient entre les ronces
la catastrophe est un trèfle à trois feuilles
que je piétine
dans le jardin
sans voir que s’y posent des bourdons
ils me piquent le talon
qui gonfle comme un œuf
je boite en fumant des feuilles coupables
le dénouement ne peut être que bancal
je retrouve la tragédie dans les yeux d’une tourterelle
qui me regarde
tandis que je lui tords le cou
ce crime me poursuit dans la nuit
j’accélère au cas où il saisirait mon pied
mais puisque je boite
je tourne en rond
j’ai manqué toutes les révolutions
mon époque était sans archétype
me voilà rattrapée
je cherche la catastrophe au milieu du compost au cas où il en resterait une coquille
dans la liste des catastrophes j’ajoute un conflit ravageur
entre des hommes et d’autres
les enfants pris en étau affamés
un front sanglant
filmé jusqu’à l’horreur en boucle
où nous réfugier je l’ignore
nous prendrions la route sans loisir
(faire la liste des choses indispensables)
l’exil ne serait pas une fable
cette catastrophe se cache déjà sous les gravats d’un hôpital
avec des restes de silence
attaque par un essaim de drones
d’une chambre suspectée
d’abriter
une cellule
surveiller les terrains d’expérimentation
s’exercer à l’apnée au cas où il faudrait traverser des zones irrespirables
désirer l’oxalis et autres indésirables au cas où les friches deviendraient des refuges
décréter les alliances au cas où l’insensibilité nous prendrait de court
abolir les mythes héroïques au cas où l’énergie vitale s’amenuiserait
apprendre à filtrer l’eau pour le cas où même la transparence deviendrait imbuvable
frotter les silex au cas où l’odeur du feu tomberait dans l’oubli
apprendre à observer les courants au cas où nous devrions attendre au large
vérifier nos attaches au cas où le combat serait plus rude que prévu