Sur une lettre de Claude Simon

Cette lettre est, selon Mireille Calle-Gruber qui signe le Prière d’insérer, « un document considérable ». On s’en réjouit, on se hâte de l’acquérir. Mais ce texte, modeste par la taille (cinq feuillets), l’est aussi par son apport à la connaissance de Claude Simon. L’essentiel tient dans une phrase, dont le début sert d’ailleurs de titre à cette édition : « Mon travail d’écrivain n’autorise à mes yeux aucune concession aux goûts du public ou aux consignes des gouvernants… » et un peu plus loin, dans la même phrase : « …le créateur […] se doit d’apporter sa modeste contribution à la perpétuelle transformation de la société en découvrant de nouvelles formes ». On se plaît à lire ceci sous sa plume, mais il n’y a rien là que de très connu. L’essentiel de la lettre, divulgué en son temps par Le Monde, figure d’ailleurs dans l’édition critique de la Pléiade – dont il faut souligner le caractère exemplaire (ce qui n’est malheureusement pas le cas pour tous les auteurs de la collection). Ce qu’on aimerait, plutôt que ces cinq feuillets, qu’on ne peut qualifier de « document considérable » sans une hyperbole hardie, c’est voir rassemblés en volume les nombreux textes et entretiens épars du grand écrivain, une sorte de Roi vient quand il veut simonien – même si, produits de la circonstance et fugitifs par nature, ils n’ont pas toujours la qualité d’écriture des interventions de Pierre Michon, dont on sait qu’il a souvent rédigé les entretiens qu’il accordait. La lettre à Federico Mayor, quoique d’importance limitée, y aurait tout naturellement sa place.
Paradoxalement, l’intérêt majeur de ce fascicule tient (pour moi) dans la déclaration finale du Forum mondial, dont Simon signa, avec réticence, la version française. Ce texte, reproduit en annexe (et qui figure aussi dans l’édition de La Pléiade), est d’une parfaite langue de bois : « banal – terriblement banal – exposé de "vœux pieux" » écrit Simon. Je ne résiste pas au plaisir de citer, à titre d’exemple, ce chef d’œuvre de rhétorique : « Seuls ceux capables d’entrevoir l’invisible seront capables d’accomplir l’impossible ». Il contient pourtant un appel clair à la liberté de création, à la diversité et à l’ouverture. On était alors en pleine Glasnost. Reçus près de trois heures durant par le nouveau secrétaire général du PCUS, Mikhaïl Gorbatchev, les quinze invités au Forum avaient entendu celui-ci exprimer la nécessité « de donner aux valeurs humaines universelles la priorité sur les buts d’une classe sociale. » Et l’on se prend à se demander si ce Forum n’a pas été organisé en vue d’un usage interne à l’URSS plus qu’à des fins de propagande externe, comme c’était le cas autrefois – renversement quelque peu étonnant.
Le même événement, je l’ai signalé, a inspiré L’Invitation, écrit en quatre mois, durant l’été 1987, au cours d’une longue période d’interruption de l’écriture de L’Acacia, et il a nourri plus tard l’une des scènes imbriquées dans l’audacieux début du Jardin des Plantes. Ce tiré à part de la lettre à Federico Mayor est né d’une contingence : il est destiné à accompagner une mise en scène de L’Invitation [1]. Il tient, par son format, des livres d’étrennes que certains éditeurs offrent en privé à leurs lecteurs fidèles. Mais si, l’ayant lu par hasard, quelques lecteurs sont incités à ouvrir le « roman » lui-même, et découvrant sa prose somptueuse…
[1] Mise en scène de Marie Vialle, production de la Compagnie Le Bout de la Langue.